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avant que les semailles de ce livre n’aient levé ; mettons deux années, trois même, d’un travail de la Grâce, sourd, têtu, parfois sensible ; il n’en resterait pas moins cinq ans pendant lesquels je ne me souviens d’avoir éprouvé aucune velléité catholique, aucun regret de la vie que je menais, aucun désir de la renverser. Pourquoi, comment ai-je été aiguillé sur une voie perdue alors pour moi dans la nuit ? Je suis absolument incapable de le dire ; rien, sinon des ascendances de béguinages et de cloîtres, des prières de famille hollandaise très fervente et que j’ai d’ailleurs à peine connue, n’expliquera la parfaite inconscience du dernier cri, l’appel religieux de la dernière page d’À Rebours.

Oui, je sais bien, il y a des gens très forts qui tracent des plans, organisent d’avance des itinéraires d’existence et les suivent ; il est même entendu, si je ne me trompe, qu’avec de la volonté on arrive à tout ; je veux bien le croire, mais, moi, je le confesse, je n’ai jamais été ni un homme tenace, ni un auteur madré. Ma vie et ma littérature ont une part de passivité, d’insu, de direction hors de moi très certaine.

La Providence me fut miséricordieuse et la Vierge me fut bonne. Je me suis borné à ne pas les contrecarrer lorsqu’elles attestaient leurs intentions ; j’ai simplement obéi ; j’ai été mené par ce qu’on appelle « les voies extraordinaires » ; si quelqu’un peut avoir la certitude du néant qu’il serait, sans l’aide de Dieu, c’est moi.

Les personnes qui n’ont pas la Foi m’objecteront qu’avec des idées pareilles, l’on n’est pas loin d’aboutir au fatalisme et à la négation de toute psychologie.

Non, car la Foi en Notre-Seigneur n’est pas le fatalisme. Le libre arbitre demeure sauf. Je pouvais, s’il me plaisait, continuer à céder aux luxurieux émois et rester à Paris, et