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XIV



Cahin-caha, quelques jours s’écoulèrent, grâce à des ruses qui réussirent à leurrer la défiance de l’estomac, mais un matin, les marinades qui masquaient l’odeur de graisse et le fumet de sang des viandes ne furent plus acceptées et des Esseintes anxieux, se demanda si sa faiblesse déjà grande, n’allait pas s’accroître et l’obliger à garder le lit. Une lueur jaillit soudain dans sa détresse ; il se rappela que l’un de ses amis, jadis bien malade, était parvenu, à l’aide d’un sustenteur, à enrayer l’anémie, à maintenir le dépérissement, à conserver son peu de force.

Il dépêcha son domestique à Paris, à la recherche de ce précieux instrument et, d’après le prospectus que le fabricant y joignit, il enseigna lui-même à la cuisinière la façon de couper le rosbif en petits morceaux, de le jeter à sec, dans cette marmite d’étain, avec une tranche de poireau et de carotte, puis de visser le couvercle et de mettre le tout bouillir, au bain-marie, pendant quatre heures.

Au bout de ce temps, on pressait les filaments et l’on buvait une cuillerée du jus bourbeux et salé, déposé au fond de la marmite. Alors, on sentait