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se roidit et, n’y tenant plus, pour la première fois peut-être depuis son arrivée à Fontenay, il se réfugia dans son jardin et s’abrita sous un arbre d’où tombait une rondelle d’ombre. Assis sur le gazon, il regarda, d’un air hébété, les carrés de légumes que les domestiques avaient plantés. Il les regardait et ce ne fut qu’au bout d’une heure qu’il les aperçut, car un brouillard verdâtre flottait devant ses yeux et ne lui laissait voir, comme au fond de l’eau, que des images indécises dont l’aspect et les tons changeaient.

À la fin pourtant, il reprit son équilibre, il distingua nettement des oignons et des choux ; plus loin, un champ de laitue et, au fond, tout le long de la haie, une série de lys blancs immobiles dans l’air lourd.

Un sourire lui plissa les lèvres, car subitement il se rappelait l’étrange comparaison du vieux Nicandre qui assimilait, au point de vue de la forme, le pistil des lys aux génitoires d’un âne, et un passage d’Albert le Grand lui revenait également, celui où ce thaumaturge enseigne un bien singulier moyen de connaître, en se servant d’une laitue, si une fille est encore vierge.

Ces souvenirs l’égayèrent un peu ; il examina le jardin, s’intéressant aux plantes flétries par la chaleur, et aux terres ardentes qui fumaient dans la pulvérulence embrasée de l’air ; puis, au-dessus de la haie séparant le jardin en contrebas de la route surélevée montant au fort, il aperçut des gamins qui se roulaient, en plein soleil, dans la lumière.