Page:Huysmans - A Rebours, Crès, 1922.djvu/244

Cette page a été validée par deux contributeurs.

la chaleur l’écrasait ; l’anémie, maintenue par le froid, reprenait son cours, affaiblissant le corps débilité par d’abondantes sueurs.

La chemise collée au dos trempé, le périnée humide, les jambes et les bras moites, le front inondé, découlant en larmes salées le long des joues, des Esseintes gisait anéanti, sur sa chaise ; à ce moment, la vue de la viande déposée sur la table, lui souleva le cœur ; il prescrivit qu’on la fît disparaître, commanda des œufs à la coque, tenta d’avaler des mouillettes, mais elles lui barrèrent la gorge ; des nausées lui venaient aux lèvres ; il but quelques gouttes de vin qui lui piquèrent, comme des pointes de feu, l’estomac. Il s’étancha la figure ; la sueur, tout à l’heure tiède, fluait, maintenant froide, le long des tempes ; il se prit à sucer quelques morceaux de glace, pour tromper le mal de cœur ; ce fut en vain.

Un affaissement sans bornes le coucha contre la table ; manquant d’air, il se leva, mais les mouillettes avaient gonflé, et remontaient lentement dans le gosier qu’elles obstruaient. Jamais il ne s’était senti aussi inquiet, aussi délabré, aussi mal à l’aise ; avec cela, ses yeux se troublèrent, il vit les objets doubles, tournant sur eux-mêmes ; bientôt les distances se perdirent ; son verre lui parut à une lieue de lui ; il se disait bien qu’il était le jouet d’illusions sensorielles et il était incapable de réagir ; il fut s’étendre sur le canapé du salon, mais alors un tangage de navire en marche le