Page:Huysmans - A Rebours, Crès, 1922.djvu/206

Cette page a été validée par deux contributeurs.

demeura confondu devant ces gaillardes dont la voracité aiguisa sa faim. Il commanda un potage oxstail, se régala de cette soupe à la queue de bœuf, tout à la fois onctueuse et veloutée, grasse et ferme ; puis, il examina la liste des poissons, demanda un haddock, une sorte de merluche fumée qui lui parut louable et, pris d’une fringale à voir s’empiffrer les autres, il mangea un rosbif aux pommes et s’enfourna deux pintes d’ale, excité par ce petit goût de vacherie musquée que dégage cette fine et pâle bière.

Sa faim se comblait ; il chipota un bout de fromage bleu de Stilton dont la douceur s’imprégnait d’amertume, picora une tarte à la rhubarbe, et, pour varier, étancha sa soif avec le porter, cette bière noire qui sent le jus de réglisse dépouillé de sucre.

Il respirait ; depuis des années il n’avait et autant bâfré et autant bu ; ce changement d’habitude, ce choix de nourritures imprévues et solides avait tiré l’estomac de son somme. Il s’enfonça dans sa chaise, alluma une cigarette et s’apprêta à déguster sa tasse de café qu’il trempa de gin.

La pluie continuait à tomber ; il l’entendait crépiter sur les vitres qui plafonnaient le fond de la pièce et dégouliner en cascades dans les gargouilles ; personne ne bougeait dans la salle ; tous se dorlotaient, ainsi que lui, au sec, devant des petits verres.

Les langues se délièrent ; comme presque tous ces Anglais levaient, en parlant, les yeux en l’air, des