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Takéoka, obtenant par des alliances de lavande et de girofle, l’odeur du Rondeletia ; par un mariage de patchouli et de camphre, l’arome singulier de l’encre de Chine ; par des composés de citron, de girofle et de néroli, l’émanation de l’Hovénia du Japon.

Des Esseintes étudiait, analysait l’âme de ces fluides, faisait l’exégèse de ces textes ; il se complaisait à jouer pour sa satisfaction personnelle, le rôle d’un psychologue, à démonter et à remonter les rouages d’une œuvre, à dévisser les pièces formant la structure d’une exhalaison composée, et, dans cet exercice, son odorat était parvenu à la sûreté d’une touche presque impeccable.

De même qu’un marchand de vins reconnaît le cru dont il hume une goutte ; qu’un vendeur de houblon, dès qu’il flaire un sac, détermine aussitôt sa valeur exacte ; qu’un négociant chinois peut immédiatement révéler l’origine des thés qu’il sent, dire dans quelles fermes des monts Bohées, dans quels couvents bouddhiques, il a été cultivé, l’époque où ses feuilles ont été cueillies, préciser le degré de torréfaction, l’influence qu’il a subie dans le voisinage de la fleur de prunier, de l’Aglaia, de l’Olea fragrans, de tous ces parfums qui servent à modifier sa nature, à y ajouter un rehaut inattendu, à introduire dans son fumet un peu sec un relent de fleurs lointaines et fraîches ; de même aussi des Esseintes pouvait en respirant un soupçon d’odeur, vous raconter aussitôt les doses de son mélange,