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voix gutturales et profondes, rauques, puis aiguës, comme surhumaines.

« — Ici, Chimère, arrête-toi.

« — Non ; jamais. »

Bercé par l’admirable prose de Flaubert, il écoutait, pantelant, le terrible duo et des frissons le parcoururent, de la nuque aux pieds, quand la Chimère proféra la solennelle et magique phrase :

« Je cherche des parfums nouveaux, des fleurs plus larges, des plaisirs inéprouvés. »

Ah ! c’était à lui-même que cette voix aussi mystérieuse qu’une incantation, parlait ; c’était à lui qu’elle racontait sa fièvre d’inconnu, son idéal inassouvi, son besoin d’échapper à l’horrible réalité de l’existence, à franchir les confins de la pensée, à tâtonner sans jamais arriver à une certitude, dans les brumes des au-delà de l’art ! — Toute la misère de ses propres efforts lui refoula le cœur. Doucement, il étreignait la femme silencieuse, à ses côtés, se réfugiant, ainsi qu’un enfant inconsolé, près d’elle, ne voyant même pas l’air maussade de la comédienne obligée à jouer une scène, à exercer son métier, chez elle, aux instants du repos, loin de la rampe.

Leur liaison continua, mais bientôt les défaillances de des Esseintes s’aggravèrent ; l’effervescence de sa cervelle ne fondait plus les glaces de son corps : les nerfs n’obéissaient plus à la volonté ; les folies passionnelles des vieillards le dominèrent. Se sentant devenir