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des réactions chimiques les substances de la terre, à user de combinaisons longuement mûries, de croisements lentement apprêtés, à se servir de savantes boutures, de méthodiques greffes, et il lui fait maintenant pousser des fleurs de couleurs différentes sur la même branche, invente pour elle de nouveaux tons, modifie, à son gré, la forme séculaire de ses plantes, débrutit les blocs, termine les ébauches, les marque de son étampe, leur imprime son cachet d’art.

Il n’y a pas à dire, fit-il, résumant ses réflexions ; l’homme, peut en quelques années amener une sélection que la paresseuse nature ne peut jamais produire qu’après des siècles ; décidément, par le temps qui court, les horticulteurs sont les seuls et les vrais artistes.

Il était un peu las et il étouffait dans cette atmosphère de plantes enfermées ; les courses qu’il avait effectuées, depuis quelques jours, l’avaient rompu ; le passage entre le grand air et la tiédeur du logis, entre l’immobilité d’une vie recluse et le mouvement d’une existence libérée, avait été trop brusque ; il quitta son vestibule et fut s’étendre sur son lit ; mais, absorbé par un sujet unique, comme monté par un ressort, l’esprit, bien qu’endormi, continua de dévider sa chaîne, et bientôt il roula dans les sombres folies d’un cauchemar.

Il se trouvait, au milieu d’une allée, en plein bois, au crépuscule ; il marchait à côté d’une femme qu’il n’avait jamais ni connue, ni vue ; elle était efflanquée, avait des