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sans idées préconçues, sans intentions réservées d’avenir, sans rien du tout.

Il m’était d’abord apparu, tel qu’une fantaisie brève, sous la forme d’une nouvelle bizarre ; j’y voyais un peu un pendant d’À vau l’eau transféré dans un autre monde ; je me figurais un monsieur Folantin, plus lettré, plus raffiné, plus riche et qui a découvert, dans l’artifice, un dérivatif au dégoût que lui inspirent les tracas de la vie et les mœurs américaines de son temps ; je le profilais fuyant à tire-d’aile dans le rêve, se réfugiant dans l’illusion d’extravagantes féeries, vivant, seul, loin de son siècle, dans le souvenir évoqué d’époques plus cordiales, de milieux moins vils.

Et, à mesure que j’y réfléchissais, le sujet s’agrandissait et nécessitait de patientes recherches : chaque chapitre devenait le coulis d’une spécialité, le sublimé d’un art différent ; il se condensait en un « of meat » de pierreries, de parfums, de fleurs, de littérature religieuse et laïque, de musique profane et de plain-chant.

L’étrange fut que, sans m’en être d’abord douté, je fus amené par la nature même de mes travaux à étudier l’Église sous bien des faces. Il était, en effet, impossible de remonter jusqu’aux seules ères propres qu’ait connues l’humanité, jusqu’au Moyen Âge, sans constater qu’Elle tenait tout, que l’art n’existait qu’en Elle et que par Elle. N’ayant pas la foi, je la regardais, un peu défiant, surpris de son ampleur et de sa gloire, me demandant comment une religion qui me semblait faite pour des enfants avait pu suggérer de si merveilleuses œuvres.

Je rôdais un peu à tâtons autour d’elle, devinant plus que je ne voyais, me reconstituant, avec les bribes que je retrouvais dans les musées et les bouquins, un ensemble. Et aujourd’hui que je parcours, après des investigations plus longues