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l’oubli de sa vie pluvieuse et plate. D’un commun avis, ils résilièrent leur bail et requérirent la séparation de corps.

— Mon plan de bataille était exact, s’était alors dit des Esseintes, qui éprouva cette satisfaction des stratégistes dont les manœuvres, prévues de loin, réussissent.

Et songeant actuellement, devant son feu, au bris de ce ménage qu’il avait aidé, par ses bons conseils, à s’unir, il jeta une nouvelle brassée de bois dans la cheminée, et il repartit à toute volée dans ses rêves.

Appartenant au même ordre d’idées, d’autres souvenirs se pressaient maintenant.

Il y avait de cela quelques années, il s’était croisé, rue de Rivoli, un soir, avec un galopin d’environ seize ans, un enfant pâlot et fûté, tentant de même qu’une fille. Il suçait péniblement une cigarette dont le papier crevait, percé par les bûches pointues du caporal. Tout en pestant, il frottait sur sa cuisse des allumettes de cuisine qui ne partaient point ; il les usa toutes. Apercevant alors des Esseintes qui l’observait, il s’approcha, la main sur la visière de sa casquette et lui demanda poliment du feu. Des Esseintes lui offrit d’aromatiques cigarettes de dubèque, puis il entama la conversation et incita l’enfant à lui conter son histoire.

Elle était des plus simples, il s’appelait Auguste Langlois, travaillait chez un cartonnier, avait perdu sa mère et possédait un père qui le battait comme plâtre.

Des Esseintes l’écoutait pensif : — Viens boire, dit-il. Et il l’emmena dans un café où il lui fit servir de violents