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de vagues souvenirs de Mantegna et de Jacopo de Barbari ; çà et là, de confuses hantises du Vinci et des fièvres de couleurs à la Delacroix ; mais l’influence de ces maîtres restait, en somme, imperceptible : la vérité était que Gustave Moreau ne dérivait de personne. Sans ascendant véritable, sans descendants possibles, il demeurait, dans l’art contemporain, unique. Remontant aux sources ethnographiques, aux origines des mythologies dont il comparait et démêlait les sanglantes énigmes ; réunissant, fondant en une seule les légendes issues de l’Extrême-Orient et métamorphosées par les croyances des autres peuples, il justifiait ainsi ses fusions architectoniques, ses amalgames luxueux et inattendus d’étoffes, ses hiératiques et sinistres allégories aiguisées par les inquiètes perspicuités d’un nervosisme tout moderne ; et il restait à jamais douloureux, hanté par les symboles des perversités et des amours surhumaines, des stupres divins consommés sans abandons et sans espoirs.

Il y avait dans ses œuvres désespérées et érudites un enchantement singulier, une incantation vous remuant jusqu’au fond des entrailles, comme celle de certains poèmes de Baudelaire, et l’on demeurait ébahi, songeur, déconcerté, par cet art qui franchissait les limites de la peinture, empruntait à l’art d’écrire ses plus subtiles évocations, à l’art du Limosin ses plus merveilleux éclats, à l’art du lapidaire et du graveur ses finesses les plus exquises. Ces deux images de la Salomé, pour