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simple, il appela les transmutateurs les plus célèbres du Midi et les fit amener, à grand frais, à Tiffauges.

D’après les documents que nous possédons, nous le voyons faire construire le fourneau des alchimistes, l’athanor ; acheter des pélicans, des creusets et des cornues. Il établit des laboratoires dans l’une des ailes de son château, et il s’y enferme avec Antoine de Palerme, François Lombard, Jean Petit, orfèvre de Paris, qui s’emploient jours et nuits à la coction du grand œuvre.

Rien ne réussit ; à bout d’expédients ces hermétistes disparaissent, et c’est alors à Tiffauges, un incroyable va-et-vient de souffleurs et d’adeptes. Il en arrive de tous les points de la Bretagne, du Poitou, du Maine, seuls ou escortés de noueurs d’aiguillettes et de sorciers, Gilles de Sillé, Roger de Bricqueville, cousins et amis du Maréchal, parcourent les environs, rabattent le gibier vers Gilles, tandis qu’un prêtre de sa chapelle, Eustache Blanchet, part en Italie, où les manieurs de métaux abondent.

En attendant, Gilles de Rais, sans se décourager, continue ses expériences, qui, toutes, ratent ; il finit par croire que décidément les magiciens ont raison, qu’aucune découverte n’est, sans l’aide de Satan, possible.

Et, une nuit, avec un sorcier arrivé de Poitiers, Jean de la Rivière, il se rend dans une forêt qui avoisine le château de Tiffauges. Il demeure avec ses serviteurs Henriet et Poitou, sur la lisière du bois, où le sorcier pénètre. La nuit est lourde et sans lune ; Gilles s’énerve à scruter les ténèbres, à écouter le pesant repos de la campagne muette ; ses compagnons terrifiés se serrent l’un contre l’autre, frémissant et chuchotant au moindre vent. Tout à coup un cri d’angoisse s’élève. Ils hésitent, s’avancent, en tâtonnant, dans le noir, aperçoivent, en une lueur qui saute, la Rivière exténué, tremblant, hagard, près de sa lanterne. Il raconte, à voix basse, que le Diable a surgi sous la forme d’un léopard, mais qu’il a passé auprès de lui, sans même le regarder, sans rien lui dire.

Le lendemain, ce sorcier prend la fuite, mais un autre arrive. C’est un trompette du nom de du Mesnil. Il exige que Gilles signe de son sang une cédule dans laquelle il s’engage à donner au diable tout ce qu’il voudra, « hormis sa vie et son âme », mais bien que pour aider aux maléfices Gilles consente à faire chanter dans sa chapelle, à la fête de la Toussaint, l’office des damnés, Satan n’apparaît pas.

Le Maréchal commençait à douter du pouvoir de ses magiciens, quand une nouvelle opération qu’il tenta le convainquit que parfois le démon se montre.