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se racontant à lui-même, tout haut, le souvenir de ses impérissables crimes.

Quand ce fut terminé, les forces l’abandonnèrent. Il tomba sur les genoux et, secoué par d’affreux sanglots, il cria : « Ô Dieu, mon Rédempteur, je vous demande miséricorde et pardon ! » — Puis, ce farouche et hautain baron, le premier de sa race, sans doute, s’humilia. Il se tourna vers le peuple et dit, en pleurant : « Vous, les parents de ceux que j’ai si cruellement mis à mort, donnez, ah ! donnez-moi le secours de vos pieuses prières ! »

Alors, en sa blanche splendeur, l’âme du Moyen Âge rayonna dans cette salle.

Jean de Malestroit quitta son siège et releva l’accusé qui frappait de son front désespéré les dalles ; le juge disparut en lui, le prêtre seul resta ; il embrassa le coupable qui se repentait et pleurait sa faute.

Il y eut dans l’audience un frémissement lorsque Jean de Malestroit dit à Gilles, debout, la tête appuyée sur sa poitrine : « Prie pour que la juste et épouvantable colère du Très-Haut se taise ; pleure, pour que tes larmes épurent le charnier en folie de ton être ! »

Et la salle entière s’agenouilla et pria pour l’assassin.

Quand les oraisons se turent, il y eut un instant d’affolement et de trouble. Exténuée d’horreur, excédée de pitié, la foule houlait ; le Tribunal, silencieux et énervé, se reconquit.

D’un geste, le Promoteur arrêta la discussion, balaya les larmes.

Il dit que les crimes étaient « clairs et apperts, » que les preuves étaient manifestes, que la Cour pouvait maintenant, en son âme et conscience, châtier le coupable et il demande que l’on fixât le jour du jugement : le Tribunal désigna le surlendemain.

Et ce jour-là, l’Official de l’église de Nantes, Jean de Pentcoetdic lut, à la suite, les deux sentences ; la première, rendue par l’Évêque et l’Inquisiteur sur les faits relevant de leur commune juridiction, commençait ainsi :

« Le saint nom du Christ invoqué, nous, Jean, Évêque de Nantes, et frère Jean Blouyn, bachelier en nos saintes Écritures, de l’Ordre des Frères Prêcheurs de Nantes et délégués de l’Inquisiteur de l’hérésie pour la ville et le diocèse de Nantes, en séance du Tribunal et n’ayant sous les yeux que Dieu seul… »

Et, après l’énumération des crimes, il concluait :

« Nous prononçons, nous décidons, nous déclarons que toi, Gilles de Rais, cité à notre Tribunal, tu es honteusement coupable d’hérésie, d’apostasie, d’évocation des démons ; que pour ces crimes tu as