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Combien le Maréchal égorgea-t-il d’enfants ? Lui-même l’ignorait. Les textes du temps comptent de sept à huit cents victimes, mais ce nombre est insuffisant, semble inexact. Des régions entières furent dévastées ; le hameau de Tiffauges n’avait plus de jeunes gens, La Suce nulle couvée mâle ; à Champtocé, tout le fond d’une tour était rempli de cadavres ; un témoin cité dans l’enquête Guillaume Hylairet, déclare aussi « qu’un nommé Du Jardin a ouï dire qu’il avait trouvé audit châtel une pipe toute pleine de petits enfants morts ».

Aujourd’hui encore, les traces de ces assassinats persistent. En 1889, à Tiffauges, un médecin découvrit une oubliette, et il en ramena des masses de têtes et d’os !

Toujours est-il que Gilles avoua d’épouvantables holocaustes et que ses amis en confirmèrent les effrayants détails.

Les habitants des régions qui avoisinent les châteaux du Maréchal savent enfin quel est l’inconcevable monstre qui enlève les enfants et les égorge. Mais personne n’ose parler. Dès qu’au tournant d’un chemin la haute taille du carnassier émerge, tous s’enfuient, se tapissent derrière les haies, s’enferment dans les chaumières.

Et Gilles passe, altier et sombre, dans le désert des villages singultueux et clos. L’impunité lui semble assurée, car quel paysan serait assez fou pour s’attaquer à un maître qui peut le faire patibuler au moindre mot ?

D’autre part, si les humbles renoncent à l’atteindre, ses pairs n’ont pas dessein de le combattre au profit des manants qu’ils dédaignent ; et son supérieur, le duc de Bretagne, Jean V, le caresse et le choie, afin de lui extorquer ses terres.

Une seule puissance pouvait se lever et, au-dessus des complicités féodales, au-dessus des intérêts humains, venger les opprimés et les faibles : l’Eglise. — Et ce fut elle, en effet, qui, dans la personne de Jean de Malestroit, se dressa devant le monstre et l’abattit.

Jean de Malestroit, évêque de Nantes, appartenait à une lignée illustre. Il était proche parent de Jean V, et son incomparable piété, sa sagesse assidue, sa fougueuse charité, son infaillible science, le faisaient vénérer par le duc même.

Les sanglots des campagnes décimées par Gilles étaient venus jusqu’à lui ; en silence, il commençait une enquête, épiait le Maréchal, décidé, dès qu’il le pourrait, à commencer la lutte.

Et Gilles commit subitement un inexplicable attentat qui permit à l’Évêque de marcher droit sur lui et de le frapper.

Pour réparer les avaries de sa fortune, Gilles vend sa seigneurie de Saint-Étienne de Mer-Morte à un sujet de Jean V, Guillaume le