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le quartier saint-séverin

mange. Les gens riches et les gourmets peuvent, pour six sous, se réconforter avec du vrai rosbif. Ce n’est plus, en effet, le torchon mol et rose, la carne détrempée dans l’eau de Seine et séchée sur la tôle d’un four des grands bouillons, c’est de la viande juteuse et qui saigne, de la viande aux sucs rouges.

Les pauvres diables auprès desquels je m’attablais, au temps où je scrutais ce quartier dans tous ses coins, étaient bons enfants et serviables. Ils étaient, pour la plupart, des ouvriers abêtis par de durs métiers, des manœuvres vieillis par les chômages. Ils valaient certainement mieux que ceux qui pâturaient derrière le comptoir de la patronne dans une toute petite pièce où il faut commander une chopine de vin pour être admis. Là, il y a de tout des artisans honnêtes, des salariés d’amour, des peintres sans le sou, des poètes dans la dèche, des copistes ; la rage des débines s’y sent. J’y entendis cependant, un soir, entre deux chineurs de bibelots, une conversation instructive et bonhomme qui me parut plus pleine que celles échangées par bien des gens du monde dans leurs salons.

La chambre était comble. Après avoir torché la sauce d’un éminent rata, mes deux voisins avalèrent une lampée de gros bleu et dirent presque en même temps : « Ça va mieux ».

L’un était chauve et voûté, très maigre ; il avait la