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les gobelins

en tournoyant du sol au toit ; elle renferme d’immenses salles plafonnées de poutres et de spacieux ateliers où l’on taille et où l’on cramine le cuir, car ce petit château est une tannerie. En bas, dans une gigantesque pièce dont le pavé fuit sous le pas et s’étend en un marécage qui odore la tinette et le vinaigre chaud, s’étend une citerne cyclopéenne parallèle à la Bièvre ; et, dans la cour même, de colossales marmites enfoncées dans la terre semblent bouillir ; ce sont les tonnes, les coudrets où macèrent les peaux ; l’on dirait d’une cuisine d’invalides énormes, de protubérants chaudrons dans lesquels cuisent d’infâmes ragoûts dont on retourne et dont on pique les morceaux avec des fourchettes géantes, des tridents.

M. Guiffrey, qui a patiemment étudié le quartier, croit que les premiers ateliers de teinture des Gobelins furent établis dans cette maison, et si, comme il y a tout lieu de le croire, cette opinion est exacte, il aurait réellement intérêt à sauver de la ruine qui le menace ce châtelet, car il date du seizième siècle et vaut à la fois par l’attrait de son architecture et par les souvenirs qu’il évoque ; mais, hélas ! qui donc se soucie désormais du vieux Paris ? et le minuscule castel sera détruit pour faire place à une imposante usine, et la manufacture des Gobelins disparaîtra, supplantée par une turne industrielle ignoble.