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analyse des travaux anthropologiques

officiellement, et qu’on relègue souvent pendant longtemps dans un vieux bahut quelconque, portant l’inscription : Matériel estimable. Quelquefois ces faits isolés, épars et sans enchaînement avec d’autres faits, heurtent de front les opinions admises, raison de plus pour les mettre de côté, pour les ignorer ou pour les déclarer suspects dans leur authenticité. La science passe comme, pour n’en citer qu’un exemple, elle a passé pendant longtemps sur les faits connus qui établissaient péremptoirement la contemporanéité niée de l’homme avec des espèces éteintes.

Mais ces faits s’accumulent et deviennent plus pressants dans leur signification, malgré « l’impossibilité scientifique » qu’on leur oppose, et même malgré l’anathème dont on les frappe. Des esprits hardis s’en emparent, les coordonnent, les enchaînent les uns aux autres, et on voit surgir avec étonnement un corps puissant et fort, là où l’on n’apercevait auparavant que des membres épars et sans relations d’ensemble. On trouve alors la figure de cette science nouvellement née très-repoussante d’aspect, l’harmonie des membres mal établie, la beauté des formes négligée et les allures du nouveau-né détestables et même subversives. Il crie trop, il a une voix perçante qui éveille jusqu’à des personnes tranquilles, dormant sur les deux oreilles et la tête enveloppée de lauriers. — Ah ! le gredin, il faut l’assommer !

Mais on ne peut pas toujours ce que l’on voudrait bien. Ce bon public, qui aime les enfants et quelquefois d’autant plus qu’ils sont plus tapageurs, protège aussi celui-ci en disant : Il a pourtant du bon. La science nouvelle grandit par l’intérêt de tous ; chacun s’empresse à apporter son contingent de faits nouveaux, d’observations intéressantes, et les coups d’estoc et de taille qu’on lui prodigue sont souvent plus nuisibles à celui qui croit les porter, qu’à celui qui doit les recevoir. L’enfant grandit par la lutte sans cesse renouvelée, ses formes s’harmonisent, ses membres s’arrondissent, pleins de séve et de force.

Les adversaires restent les mêmes, mais la tactique change. Tout cela est connu d’ancienne date, nous savons cela depuis longtemps, pas besoin de se remuer pour ces vieilleries ! Ce qu’il peut arriver alors de pire à une science bien née et bien développée, c’est d’être élevée au rang d’une science faite, arrêtée et reconnue ! Aurions-nous le malheur d’être déjà arrivés, si jeunes encore, à cette dernière période de notre histoire ?

Non, messieurs, rappelons-nous toujours que nous sommes encore dans la période de la lutte et du combat, et que, plus notre route est ardue, plus nous devons marcher avec prudence. Or, en science, la garantie de la victoire c’est la plus grande exactitude dans l’observation, la plus grande véracité dans l’énoncé du fait observé, la plus rigoureuse logique dans l’enchaînement des raisonnements. Nous avons besoin du concours de tous pour éclairer le domaine que nous cultivons : le géologue doit nous renseigner sur la nature des terrains qui recèlent les anciennes traces de l’existence de l’homme, sur la succession de leurs couches, sur les conditions physiques sous l’influence