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du congrès paléo-anthropologique.

Aujourd’hui, messieurs, en présence des nombreux adhérents de tous les pays qui se trouvent réunis à nos séances, nous pouvons dire que le germe si modeste semé à la Spezzia et transplanté à Neuchâtel a grandi au milieu de la lutte pour l’existence, qu’il a poussé de fortes racines, et qu’un tronc majestueux va élever sa couronne portant des feuilles et des fruits. Ce congrès international pour l’anthropologie et l’archéologie préhistoriques va se continuer, nous pouvons en être certains, pendant des années, en transportant sa demeure fugitive et momentanée de pays en pays, et en discutant, au milieu des faits accumulés dans chaque contrée, les observations sur lesquelles doivent toujours se fonder les conséquences que nous tirons et les conclusions auxquelles nous arrivons.

La science à laquelle sont destinées nos séances est jeune sans aucun doute, et quoique nous comptions dans nos rangs des vétérans qui ont blanchi sous le harnais et dont les formes crâniennes sont accessibles à tous les regards, nous pouvons dire que nous marchons sous une bannière nouvellement confectionnée et dont l’emblème, pour l’avouer franchement, n’est pas encore définitivement fixé.

Or, messieurs, si d’autres peuvent trouver une sorte de contentement dans la culture d’une science faite et dont les bases sont arrêtées définitivement, il y en a aussi (et il me semble que par votre adhésion vous vous rangez de ce côté) qui aiment à frayer des routes nouvelles et à suivre des sentiers peu battus, où, à côté des jouissances que procure la recherche de l’inconnu, se trouve aussi souvent le danger de la lutte et la déception de l’erreur. Malheur à nous, si nous croyons pouvoir sauter les obstacles à pieds joints, les yeux fermés, et si, entraînés par une imagination ardente ou par le désir d’arriver au but, nous négligeons les bases de toute science positive, en nous livrant à des conjectures hasardées !

Il ne faut pas nous dissimuler, messieurs, que notre congrès est une innovation dans la vie scientifique européenne, et que partout où il y a innovation, il y a aussi lutte et combat ; lutte pour l’existence actuelle, combat pour la conservation future des résultats acquis. Plus le champ que nous devons cultiver, suivant notre programme, est vaste, plus il touche à des domaines divers, dont les marques de frontières doivent souvent être reculées ou élargies, opération qui ne se fait pas avec moins de peine dans les domaines scientifiques que dans les domaines ruraux, avec cette différence seulement, que dans les anciens temps l’établissement des marques des frontières rurales faisait couler du sang comme on nous l’a démontré dans notre dernière séance, tandis qu’aujourd’hui, dans le domaine scientifique, il ne fait couler que de l’encre.

L’histoire de chaque science nouvelle montre des phases presque identiques dans son développement. On a trouvé des faits épars, isolés, qui se sont offerts spontanément à des observateurs, et dont la connaissance s’est propagée sans être avouée, faits qui ne cadrent pas avec les sciences admises