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histoire naturelle

que le prouve une anecdote rapportée par M. Bennett[1]. Il était évident que le gibbon en question avait une position particulière à tout remuer dans sa cabine. Parmi les choses qui s’y trouvaient, un morceau de savon attirait, particulièrement son attention, et il avait été une fois ou deux réprimandé pour l’avoir déplacé. « Un matin, dit M. Bennett, j’étais en train d’écrire, le singe étant là, quand, jetant les yeux sur lui, je le vis prendre le savon. Je le surveillai, sans qu’il y fît attention ; il jetait des coups d’œil furtifs vers l’endroit où j’étais assis. Je fis semblant d’écrire, mais dès qu’il me vit très-sérieusement occupé, il prit le savon et s’enfuit en l’emportant dans sa patte. Quand il eut franchi la moitié de la longueur de la cabine, je lui parlai doucement sans l’effrayer. À l’instant même où il découvrit que je l’avais vu, il revint sur ses pas et déposa le savon à peu près à la place où il l’avait pris. Il y avait certainement dans cet acte quelque chose de plus qu’instinctif. Il trahit évidemment la conscience d’avoir fait quelque chose de mal dans sa première et dans sa seconde action, et qu’est la raison, sinon l’exercice de cette conscience »[2] ?

  1. Bennett, loco cit., p. 156.
  2. On nous permettra de faire remarquer ici que si la raison est un exercice de la conscience du bien et du mal, tous les animaux, les domestiques au moins, sont raisonnables ; car ils sont tous capables de ce degré d’éducation qui consiste à comprendre certains devoirs imposés par l’homme. Il est certain que le vol du savon de M. Bennett n’est une faute que par rapport à M. Bennett et à son gibbon. Le mal est donc ici, comme ailleurs, essentiellement relatif, déterminé par les circonstances et par une éducation à laquelle certains individus sont malheureusement tout à fait réfractaires. Tel n’était pas le gibbon dont il est ici question. La notion du bien et du mal qu’il possédait, et sur laquelle M. de Quatrefages insiste dans son excellent ouvrage sur l’espèce humaine, comme l’une des caractéristiques du règne humain, est donc commune aux animaux et à l’homme, quoiqu’à des degrés diffé-