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SUR L’ÉVOLUTION LITTÉRAIRE

— C’est, en effet, également dangereux, me répondit-il, soit que l’obscurité vienne de l’insuffisance du lecteur, ou de celle du poète… mais c’est tricher que d’éluder ce travail. Que si un être d’une intelligence moyenne, et d’une préparation littéraire insuffisante, ouvre par hasard un livre ainsi fait et prétend en jouir, il y a malentendu, il faut remettre les choses à leur place. Il doit y avoir toujours énigme en poésie, et c’est le but de la littérature, — il n’y en a pas d’autres — d’évoquer les objets.

— C’est vous, maître, demandai-je, — qui avez créé le mouvement nouveau ?

— J’abomine les écoles, dit-il, et tout ce qui y ressemble ; je répugne à tout ce qui est professoral appliqué à la littérature qui, elle, au contraire, est tout à fait individuelle. Pour moi, le cas d’un poète, en cette société qui ne lui permet pas de vivre, c’est le cas d’un homme qui s’isole pour sculpter son propre tombeau. Ce qui m’a donné l’attitude de chef d’école, c’est, d’abord, que je me suis toujours intéressé aux idées des jeunes gens ; c’est ensuite, sans doute, ma sincérité à reconnaître ce qu’il y avait de nouveau dans l’apport des derniers venus. Car moi, au fond, je suis un solitaire, je crois que la poésie est faite pour le faste et les pompes suprêmes d’une société constituée où aurait sa place la gloire dont les gens semblent avoir perdu la notion. L’attitude du poète dans une époque comme celle-ci, où il est en