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SUR L’ÉVOLUTION LITTÉRAIRE

Toutefois, quant à réussir, les symbolistes me paraissent entrer dans la lutte pour la vie sous des conditions anormales et désavantageuses pour eux. Je m’explique par une comparaison : on a longtemps discuté pour savoir si, dans la nature, c’était le père ou la mère qui faisait l’enfant. Au temps de l’Homme aux quarante écus, la physiologie attribuait ce rôle au père. Eh bien ! en littérature, j’ai le sentiment que l’auteur soit le mâle, et qu’il fasse une espèce d’enfant au lecteur. Et ce qui me fait un peu douter que le symbolisme, à moins de perfectionnement, puisse être bien fécond, c’est que je lui trouve des formes gracieuses, mais avec des façons d’échapper qui sont presque de pudeur féminine ; de sorte qu’il ne me semble enfanter l’idée que lorsque le lecteur est lui-même un mâle, quand le lecteur apporte là un tempérament d’auteur.

À propos de cette pudeur symbolique, je me souviens que le délicieux Mallarmé me disait un jour, sur une rive de la Seine, dont la blanche voile de sa yole fait l’enchantement, qu’il ne comprenait pas que l’on se publiât. Un tel acte lui faisait l’effet d’une indécence, d’une perversion comme ce vice qu’on nomme : « l’exhibitionnisme ». Et, au reste, nul n’aura été plus discret de son âme que cet incomparable penseur.

D’autre part, il se produit peut-être aussi, dans la littérature, une autre évolution, dont les Goncourt