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ENQUÊTE

après avoir lu votre livre, se détourneront désormais du métier des Arts ; car l’acrimonie manifestée par les Maîtres contre leurs successeurs possibles et l’âpre débinage mutuel des ambitieux nouveaux prouvent décidément que la littérature, comme toute autre institution actuelle, ressemble au carreau du Temple où s’acharne l’esprit des négoces concurrents. On a même pu constater que le système protectionniste y prévaut et que les détenteurs de gloire s’efforcent, par les plus perfides artifices, d’interdire aux productions d’autrui l’entrée de ce domaine au rendement fertile.

C’est avec une joie extrême qu’on a pu voir les poètes de la tradition, éternels apprentis de lettres, se formaliser de ne pas obtenir chacun la première place dans la littérature, restée éternellement pour eux une classe de versification.

Mais si l’on pensait que cette manie puérile était particulière aux bardes toujours méconnus, M. Zola, prosateur positif, a pris soin de détromper le monde.

Lui aussi, et perpétuellement, M. Zola veut garder la première place avec les privilèges du banc d’honneur et de l’exemption. L’idée seule que d’autres pourraient bien produire des compositions passables lui met la fièvre au pouls, et le fiel à la plume.

Voilà finie une de mes belles illusions.

M. Brunetière et lui me représentaient les deux consciences artistes les plus saines du temps. Sans qu’il m’advînt d’adopter intégralement les opinions du romancier ou Celles du critique, leurs déductions me parurent toujours homogènes, leurs esprits droits et cent fois invariables. Et c’était, à mon sens, un grand apaisement de les voir tels parmi la cohue bruyante des plumitifs qui transforment l’art en ministère et y sollicitent leur place, par l’intrigue, la flatterie, les visites, les dîners, les dédicaces et les exploits d’alcôve.