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ENQUÊTE
Voir page 72.


première lettre de m. jean moréas


Paris, 19 mai 1891.
Monsieur,

Je complète (puisque j’y suis si gracieusement invité) les conversations que nous eûmes en l’occurrence de votre Enquête. Et d’abord, que celui-ci ou celui-là, très ignorant de littérature, n’attende de moi réponse à ses propos inconsidérés, car à quoi bon ?

Mais je vais éclaircir certains points de ma doctrine afin que ceux parmi nos lettrés, exempts de vaines rancunes, puissent, mieux renseignés, seconder mon labeur honnête.

Le caractère primordial de la littérature française n’est-il pas, monsieur, en ses meilleurs moments, tout gréco-latin ? Voyez les épopées et les chansons d’amour du douzième siècle ; voyez l’école de Ronsard, les tragédies de Racine et les Contes de La Fontaine ; voyez les Églogues de mon compatriote André Chénier.

Puis un jour le Romantisme se manifeste, presque simultané, dans les diverses littératures européennes. Quels sont les éléments qui le constituent ? Une fausse interprétation du génie de Shakespeare, une fausse intelligence de la poésie populaire, un déplorable malentendu de la couleur locale, un pittoresque abusif. Ajoutez-y, monsieur, la sensiblerie fardant le sentiment et la manie de conter pour le plaisir de conter sans démêler la signification analogique des actes humains. Et c’est en France, certes, que l’acci-