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ENQUÊTE

mains effilées, délicates, aptes aux subtiles besognes, on imagine aisément que le fluide nerveux qui les fait mouvoir de cette extraordinaire façon est d’une essence plus raffinée que celui du commun des mortels ; sa complexion générale exprime la confiance du savant dans la puissance illimitée des machines, — il dédaigne d’avoir des muscles…

En résumé, il apparaît très rationnellement comme l’historiographe de nos sensations les plus raffinées, qu’il pèse, mesure, et où il découvre des mondes ; un des Esseintes qui serait raisonnable et savant.

Je lui demande :

— Dans quel sens pensez-vous que l’évolution littéraire pourra s’exercer ?

— Je ne crois pas à l’avenir du psychologisme ou du naturalisme, ni, en général, de toute école réaliste. Je crois au contraire à l’avènement plus ou moins prochain d’un art très idéaliste, mystique même, fondé sur des techniques absolument nouvelles. Je le crois parce que nous assistons à un développement et à une diffusion de plus en plus grandes des méthodes scientifiques et des efforts industriels ; l’avenir économique des nations y est engagé et les questions sociales nous y forcent, car, en somme, le problème de la vie progressive des peuples se résume ainsi : « fabriquer beaucoup, à bon marché et en très peu de temps. » L’Europe est condamnée à ne pas se laisser devancer et même anéantir par l’Amérique qui a depuis