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SUR L’ÉVOLUTION LITTÉRAIRE

— Moréas n’a pas de talent, mais encore il en a plus que les autres… Il n’a jamais rien fait de bon ; il a son jargon à lui, il faut voir ce qui en sortira ; sa théorie de l’union de l’âme moderne et des adverbes ne manque pas de pittoresque…

Dubus, entre deux bouchées, se tordait dans les convulsions du rire ; il laissait choir son monocle, se tapait sur les cuisses, tous les plis du visage tendus vers le front.

Kahn continuait :

— Moréas va de temps en temps dans les bibliothèques durant un mois ou deux renouveler ses vocables, faire sa cueillette, puis il plaque des mots, passemente des vers, et le tour est joué…

On entamait le deuxième service, et l’ale coulait des pots d’étain.

— Quant à Charles Morice, c’est différent ; l’agriculture manque de bras… c’est la râpure de la dernière valise de Mallarmé ; il n’a aucun talent.

— Henri de Régnier ? dis-je.

— Celui-là n’a aucune espèce de talent vous m’entendez bien ? aucune espèce ; il opère dans le décor d’or des chevaliers d’embrun et d’emprunt qui vont le long des grèves, etc., etc. Il a le droit d’aller prendre sa chaise chez Mallarmé.

— Pourtant, observai-je, un peu partout on a jusqu’ici été unanime sur sa grande valeur de poète.

— Excepté Brunetière, l’opinion de la plupart des