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ENQUÊTE

le rêve. Nous ne voyons rien tel que c’est. Il faut un étrange effort d’abstraction, et jamais réussi, pour dépouiller les choses de ce qu’y ajoute notre incompressible imagination ; en ces jours présents surtout, où l’humanité aryenne semble ne plus vouloir penser qu’en images et allégories, ajoutant à toute réalité un dédoublement mystique, une flottante auréole de mystère. Cette inclination de nos cerveaux, séduisante et expressive faiblesse, les artistes nouveaux veulent y faire droit : l’art, disent-ils, doit l’exprimer, puisqu’elle est en nous et nous charme. L’art qui la néglige est un art mutilé. La nature existe pour nous non pas telle qu’elle est, mais telle qu’elle nous apparaît, telle que nous la sentons, que nous la recréons, que nous l’habillons de nos fantaisies, cruelles ou douces, fantastiques surtout. L’artiste doit le dire. Il doit, dans les âmes moins actives que la sienne, moins fécondes, susciter par la dextérité de ses rêves d’autres rêves. Son rôle est de mettre en effervescence, au plus profond des autres, l’organe où s’épanouit, en sa divine jouissance, la sensation artistique. Il ne saurait le faire pleinement s’il se borne à la morne et sèche réalité !

» Une versification plus simple, une langue plus riche, et l’immatériel auréolant constamment la réalité, voilà quelles seront, d’après moi, les dominantes de l’art prochain, qui, émondant les exagérations et les bizarreries de l’heure de transition présente, régira