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SUR L’ÉVOLUTION LITTÉRAIRE

M. ÉMILE BERGERAT


— Ce que je pense des symbolistes ? me dit Caliban en se grattant l’oreille… Je ne voudrais pourtant pas être traité d’imbécile en avouant que je ne comprends pas… Après tout, ils ont le droit de nous appeler vieilles barbes et crétins, nous sommes d’une autre génération, et ç’a souvent été la mode. Moi, quand j’avais vingt ans, je me trouvais un bien plus grand poète dramatique que Shakespeare : Othello, Macbeth, Hamlet, tout ça c’était de la blague ! J’avais bien mieux que ça dans la tête ! Et c’était vrai ! Mais quand il s’agissait d’écrire… oh ! alors, il n’y avait plus rien !…

En tous les cas, ils me semblent venus dans un mauvais moment. Par ce temps de démocratie, de télégraphie, de socialisme, je ne crois pas qu’ils arrivent jamais à s’imposer d’une manière définitive ; à moins qu’ils veuillent simplement réagir contre l’instruction à six sous, et la prose de MM. Ohnet, Delpit, Richebourg et Cie. Ils resteront alors à l’état de petits cénacles, de bonzeries. Ils seront des mandarins réunis chez un ami riche qui « éclairera ». Là-dedans, on se congratulera, et l’on se distribuera des ouvrages curieux, d’un style compliqué, édités seulement à dix exemplaires. Je me les figure comme des cardinaux