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ENQUÊTE

M. de Hérédia s’interrompt brusquement :

— Moi je suis Espagnol, c’est vrai, mais je suis latin… Et puis je n’ai la prétention de rien révolutionner !

Puis il continue :

— Tenez, Viellé-Griffin, par exemple, qui est anglo-saxon et qui a eu, je crois, une très grosse influence dans le mouvement symboliste, eh bien ! il nous donne aujourd’hui, sous le titre de vers, une prose qui ressemble à une sorte de traduction linéaire d’un poème étranger. Beaucoup de talent, d’ailleurs, là-dedans, et un vrai sentiment poétique. Mais encore une fois ce ne sont [)as des vers !… Et que de Belges aussi ! et que de Suisses ! On dirait, ma parole, que les symbolistes de France ont pris le mot d’ordre à Bruxelles, à Liège, ou à Genève !

Notez, monsieur, me dit mon interlocuteur avec un grand accent de franchise et de sincérité, que je ne mets pas la moindre animosité dans mes paroles. Jaime beaucoup ces jeunes gens, ils m’envoient tous leurs ouvrages, car ils savent que je m’intéresse à tout ce qui vient d’eux. Les samedis, je les vois ici, autour de moi, je leur répète à satiété tout ce que je vous dis là. Et je vous assure très sincèrement que si je voyais naître parmi eux un grand poète, je serais le premier à m’incliner devant lui et à manifester hautement mon admiration. Mais (je n’ai pas le droit d’être aussi sévère que mon maître Leconte de Lisle), je