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SUR L’ÉVOLUTION LITTÉRAIRE

pour la première fois, à travers Ronsard et Malherbe, il est resté et il restera cette chose merveilleuse que les plus grands artistes ont fait servir à tant de magnifiques chefs-d’œuvre : l’alexandrin français !

Et quand, à travers tant de crises, tant de transformations, tant de révolutions, le vers n’a pas changé, quand tant d’esprits insurg-és, tant de tempéraments brouillons et tant de purs génies nous l’ont transmis, finalement intact, après l’avoir ajusté à des lyres si diverses, c’est qu’en effet, il doit avoir en lui autre chose qu’une harmonie de hasard, c’est qu’il est, dans son essence, éternel, croyez-moi.

— Et la rime riche ? demandai-je.

— Oh ! pour cela je ne suis pas entêté… Qu’on me montre des vers à rime pauvre ou même sans rime qui soient beaux, et j’y applaudirai. Mais je ne peux pas m’empêcher de penser que lorsque Victor Hugo a rimé pauvrement, il a fait de mauvais vers, témoins ceux-ci, tenez, du Satyre : l’éclat de rire…


Si joyeux, qu’un géant enchaîné sous le mont,
Leva la tête et dit : « Quel crime font-ils donc ? »


La rime de ces deux vers bébêtes est lamentable et il se trouve que c’est en effet du Hugo de deuxième plan, du Hugo seulement tribun que le sublime poète s’amusait à être quelquefois. C’est comme Musset, d’ailleurs ! Chaque fois que son vers est beau, incontestablement beau, il est bien