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SUR L’ÉVOLUTION LITTÉRAIRE

labique », et comment en sera-t-il touché ? Oui, où trouvera-t-il le point de repère qui lui permette de suivre le rythme choisi par le poète ? Car, enfin, on ne saurait soutenir qu’il y ait dans la langue française une quantité syllabique comparable à celle dont se formaient le vers grec et le vers latin, et dont se forment, incomplètement d’ailleurs, le vers anglais et le vers allemand ! L’auteur et le lecteur seront vis-à-vis l’un de l’autre — quant à la strophe libre dont il s’agit, — un peu comme deux violonistes qui essaieraient de déchiffrer ensemble un morceau de musique dont on aurait supprimé la mesure et toutes les indications de cadence… Entendez-vous cette cacophonie ? Qu’on change, qu’on transforme à l’infini la mesure du vers, soit ! Mais qu’on la conserve si l’on ne veut pas tuer le vers français ! L’alexandrin ne renferme-t-il pas les vers libres les plus variés, tous les vers, de tous les nombres, de tous les rythmes ! Et, au moins, l’alexandrin et sa césure vous donnent le mouvement, forcent le lecteur à suivre, syllabe par syllabe, à l’aide des temps forts, des temps faibles et des muettes des mots, l’eurythmie du vers : c’est ce qui remplace dans notre poésie ce que les longues et les brèves étaient dans le vers latin et dans le vers grec. Toute l’erreur des novateurs provient, je crois, de cette confusion, qui s’explique, d’ailleurs, si on observe que, parmi eux, il y a, entre autres, un Grec, Moréas, un Américain, Stuart Merrill, qui ont, tous