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SUR L’ÉVOLUTION LITTÉRAIRE

vain baptisé Jésus-Christ un héros de la Terre.

La Providence veille, vengeresse, et je sors à propos cent sous de mon gousset. Un passant finit par me dénicher, chez un troquet lointain, le domestique chargé de veiller sur l’immeuble, et je parviens à rentrer en possession du « manifeste ». — « Cocher, au Figaro ! et au galop ! » Je m’affale sur les coussins. Soupir énorme. Alors, ma femme : « C’est donc bien précieux, cet article, et vraiment utile ? » « Je te crois… » et je vais pour lui expliquer, mais elle m’arrête : « Je savais bien que tu le retrouverais : j’ai dit un Souvenez-vous Marie ! »

C’est bête, ça, et de l’intimité et du sacré, mais si je vous l’ai dit, c’est que de l’histoire je ne veux me rappeler que cette minute heureuse, que ce beau cri d’affection sûre et d’enfantine foi.

Et voilà, reprit M. Bonnetain après un silence, tout ce que je puis vous confier sur l’évolution littéraire de ce temps-ci… Venez-vous voir mes lilas ?

Mais j’insistai jusqu’à l’agacement de mon hôte.

— Évolution ! évolution ! Il n’y en a pas d’évolution ; chacun sent qu’il en faudrait une, et chacun se désespère de ne savoir, de ne pouvoir la créer, la diriger ; alors, chacun plaide à côté. Le certain c’est que, si le naturalisme a fait son temps, comme étiquette, mode et procédés, le réalisme reste invaincu. La grosse majorité des grandes œuvres de tous les temps n’est-elle pas réaliste, de la Bible à Pascal, du grand