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ENQUÊTE

fond le boulet qui doit nous écrabouiller. Il y a bientôt dix ans que des amis communs me disent : « Le plus grand poète de ces temps-ci, c’est Charles Morice ! Vous verrez, vous verrez. » Eh bien ! J’ai attendu, je n’ai rien vu ; j’ai lu de lui un volume de critique, la Littérature de tout à l’heure, qui est une œuvre de rhéteur ingénieuse, mais pleine de parti-pris ridicules. Et c’est tout. Vous me dites qu’il va, sous peu, publier de ses vers ; c’est toujours la même histoire ! Comme les socialistes ; écoutez Guesde, dans six mois il gouvernera, et rien ne bouge. À présent on parle de Moréas. De temps en temps, comme cela, la presse, qui est bonne fille, se paie le luxe d’en lancer un pour se distraire et pour embêter des gens. Qu’est-ce que c’est que Moréas ? Qu’est-ce qu’il a donc fait, mon Dieu ! pour avoir un toupet aussi énorme ? Victor Hugo et moi, moi et Victor Hugo ! A-t-on idée de cela ? N’est-ce pas de la démence ! Il a écrit trois ou quatre petites chansons quelconques, à la Béranger, ni plus ni moins ; le reste est l’œuvre d’un grammairien affolé, — tortillée, inepte, sans rien de jeune. C’est de la poésie de bocal !

En s’attardant à des bêtises, à des niaiseries pareilles, à ce moment si grave de l’évolution des idées, ils me font l’effet, tous ces jeunes gens, qui ont tous de trente à quarante ans, de coquilles de noisette qui danseraient sur la chute du Niagara ! C’est qu’ils n’ont rien sous eux, qu’une prétention gigantesque et