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ENQUÊTE

presque se spiritualiser la matière et se matérialiser l’idée, la forme est la cage des lions et des faisans de l’abstraction, elle corporise l’idéalité, idéalise la réalité.

Qu’on n’aille point m’attribuer le sophisme d’une esthétique des seules sensations ! Ayant voulu poser les assises d’un quai de départ, j’ai dû commencer par les sens qui sont la prime et banale preuve de l’existence de l’homme en le cerveau de qui siège le Vatican des sensations. Ce sont les buccins des sensations qui sonnent la diane de l’humanité et c’est par le pont-levis des sens que le fantôme du Mystère entre visiter le donjon de notre esprit. Ma Théorie des Cinq Sens, ai-je inféré dans une étude sur le divin Pierre Quillard, est l’avènement de l’art individuel et vivant : le Verbe fait Homme. Ajoutons que les sens fraternisent avec un désintéressement tel qu’ils fusionnent chez les natures d’éUte au point de se confondre. Cette communion des sens engendre l’émotion suprême, l’éclosion de l’âme, son apparition, son entrée en matière. Longtemps j’ai supposé que la sensibilité pouvait être la substantialité de l’âme. Serait-ce pas au moins joli de dire que les sensations sont la forme insaisissable du corps et la forme saisissable de l’âme ? Le vulgaire commerce des sens, on le voit, n’est pas en cause, mais le subtil résultat de cet essaim se coalisant et s’épurant vers l’unité sensationnelle jusqu’à distiller dans la ruche cérébrale un relief unanimement élu.