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SUR L’ÉVOLUTION LITTÉRAIRE

velles générations littéraires : elles sont rigoureusement antinaturalistes. Il ne s’agit pas d’un parti-pris, il n’y eut pas de mot d’ordre donné ; nulle croisade ne fut organisée ; c’est individuellement que nous nous sommes éloignés avec horreur d’une littérature dont la bassesse nous faisait vomir. Et il va encore moins de dégoût peut-être que d’indifférence. Je me souviens que, lors de l’avant-dernier roman de M. Zola, il nous fut impossible, au Mercure de France, de trouver parmi huit ou dix collaborateurs réunis, quelqu’un qui eût lu entièrement la Bête humaine, ou quelqu’un qui consentît à la lire avec assez de soin pour en rendre compte. Cette sorte d’ouvrages et la méthode qui les dicte nous semblent si anciennes, si de jadis, plus loin et plus surannées que les plus folles truculences du romantisme !

Dire qu’il n’y eut, en cette guerre de partisans contre le naturalisme, aucune entente préparatoire de cénacle, aucun conciliabule de loge carbonariste, c’est, je crois, la vérité, mais en abandonnant M. Zola, les jeunes gens savaient qui suivre. Leur maître (je parle spécialement des plus idéalistes d’entre nous) était Villiers de l’Isle-Adam, cet évangéliste du rêve et de l’ironie, et, mort, il est toujours celui que l’on invoque, que l’on relit familièrement, celui dont les moindres bouts de papier posthumes ont la valeur de reliques vénérées sans équivoques. Son influence, sur la jeunesse intelligente, est immense : il est notre