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ENQUÊTE

d’heure à peine passé, je m’en rends compte : ne parler ni de lui ni des autres, ou si peu ! parler des choses en phrases très courtes, répondre à mes questions par des monosyllabes, le quart d’un geste, un hochement de tête, un mouvement des lèvres ou des sourcils, telle sera la posture de l’interviewé aussi longtemps qu’il sentira planer l’indiscrétion de l’interviewer. Il faudra que petit à petit je fasse oublier le but de mon voyage pour réussir à fondre un peu ce mutisme blond. Encore une fois, je sens qu’il n’y a là ni parti pris, ni pose, il ne parle pas… très simplement, — comme d’autres parlent.

Nous déjeunons d’un appétit formidable tous deux.

— Oui, j’ai un appétit féroce, me dit-il. C’est que je fais beaucoup d’exercices physiques : canotage, haltères ; l’hiver, je patine, je vais souvent jusqu’à Bruges, et même en Hollande, sur la glace ; le bicycle, tous les jours… quand je ne plaide pas… mais je plaide si rarement !

— Vous êtes avocat ! m’exclamai-je.

— Oui, mais je vous dis… si peu ! De temps en temps, un pauvre paysan vient me demander de le défendre, et je plaide, — en flamand.

Nous convenons que, puisqu’il n’a rien à me dire, nous allons nous promener à travers la ville.

— Je vous montrerai nos maisons qui baignent dans le canal, nos architectures du moyen-âge. Vous verrez comme c’est triste.