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SUR L’ÉVOLUTION LITTÉRAIRE

Or, après M. Jean Moréas, voir M. Henri de Régnier, que M. Stéphane Mallarmé place si haut dans le mouvement poétique contemporain, c’était me ménager le régal d’une antithèse. M. de Régnier est grand et mince ; il a vingt-sept ans ; les traits fins de sa physionomie, son œil gris-bleu, sa moustache cendrée, sa voix douce et musicale, les gestes aisés de sa main très longue donnent rapidement l’impression d’une délicatesse extrême, d’une réserve, presque d’une timidité maladive. Ce que cette physionomie pourrait pourtant avoir de trop frêle est corrigé par la saillie des maxillaires, et le relief carré du menton volontaire.

Parler de lui le moins possible, fuir, pour ainsi dire, l’approche d’un éloge, par peur qu’il ne soit brutal ; amollir, par le ton et par le sourire, la fine ironie qui pointe parfois, ce sont les traits caractéristiques de la conversation de M. de Régnier.

Selon lui ce qu’on appelle l’École symboliste doit plutôt être considéré comme une sorte de refuge où s’abritent provisoirement tous les nouveaux venus de la littérature, « ceux qui ne se sentaient pas disposés à marcher servilement sur les traces des devanciers, les Parnassiens, les naturalistes qui finissent de sombrer dans l’ordure. »

— Chassés de partout, me dit-il, presque unanimement conspués, ils éprouvent le besoin de se ranger sous une enseigne commune pour lutter en-