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ENQUÊTE

qu’on le puisse ? C’est faire comme un mercenaire qui ramasserait des cailloux d’un côté de la route pour les placer de l’autre côté, c’est le travail des Danaïdes !

L’erreur des psychologues est de même sorte. Ils font une enquête, — ils disent qu’ils en font une ! — quel résultat leur donnera-t-elle ? À quoi l’enquête naturaliste a-t-elle abouti ?

Eh bien, voyez donc comme ils procèdent. M. Barrès, — qui est bien le moins symboliste de tous les écrivains, — nous enseigne qu’il faut cultiver son moi ! Mais quelqu’un au monde fait-il autre chose que de chercher le bonheur ? Et cultiver son moi, est-ce autre chose ? Dire qu’on va le faire, c’est une grosse naïveté, n’est-ce pas ? On dirait qu’il a trouvé le secret de polichinelle, et qu’il en joue ! Très adroitement, d’ailleurs, mais en dehors de toute littérature. On s’extasie devant le scepticisme de M. Barrès, on a l’air d’y croire ! On ne s’aperçoit pas que ce scepticisme procède encore d’une naïveté énorme. Il nous assure, après tant d’autres, que les choses n’existent pas en elles-mêmes ; c’est possible, — et nous n’en sommes pas sûrs, — mais elles ont une existence certaine en nous, et nous sommes obligés de faire comme si elles existaient hors de nous. Lorsque nous disons que le soleil se couche, nous savons très bien qu’il ne se couche pas, mais nous disons ainsi parce que c’est la seule façon de s’exprimer !