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LE TRÉSOR DE BIGOT

américains passaient par milliers, quittant leur pays sec, pour venir se mouiller la gorge dans la vieille et libre province de Québec. C’était un défilé incessant sur le pont qui unit les deux rives de la Rivière Etchemin à cet endroit.

Il y a à la sortie de ce pont un brusque détour très dangereux. C’est pourquoi les trompes d’automobiles jouaient incessamment une musique criarde aussi harmonieuse que celle des nègres qui descendaient autrefois le Mississippi.

Jules Laroche descendit sans hâte de sa Buick arrêtée en face du presbytère. Il jeta un coup d’œil rapide à l’église. Puis ses yeux se tournèrent du côté du cimetière. Quelle ne fut pas alors sa surprise en constatant que le champ des morts était rempli d’une foule de personnes qui semblaient, sur un ton bas, deviser avec animation.

— Comprends-tu ça, toi, Tricentenaire ? demanda-t-il à son compagnon, en pointant le cimetière.

— Sac à papier ! s’exclama Champlain, usant de son expression favorite, nous ne sommes pourtant pas au mois des morts. Si je ne me trompe, ce n’est aujourd’hui que le 15 juillet.

— Enfin, reprit le détective privé, il est bien inutile de nous casser la tête sur ce problème, quand le bon curé de St-Henri va sans doute nous expliquer le plus facilement du monde les raisons de cette foule assemblée dans le champ funèbre.

Jules Laroche jeta un coup d’œil sur le presbytère. Il vit le vieux curé Marin qui se promenait tranquillement sur sa galerie, lisant son bréviaire. Le prêtre était tellement absorbé dans sa lecture pieuse, que l’arrivée du détective et de son compagnon lui était passée inaperçue. Ce n’est que quand Jules Laroche commença à monter les marches qui conduisaient à la galerie, que le vieux curé quitta des yeux son bréviaire.

Apercevant le détective, il s’avança vers lui avec toute la rapidité que lui permettait son âge :

— Monsieur Laroche, s’écria-t-il, j’avais peur que vous ne veniez pas. Ah ! vous êtes mille fois le bienvenu. J’aurais voulu ce matin au téléphone vous expliquer de quoi il s’agissait ; mais l’opératrice nous a coupé la communication. Ah ! monsieur Laroche, un attentat épouvantable, inouï, a été commis cette nuit dans ma paroisse.

— Y a-t-il eu quelqu’un d’assassiné ? interrogea anxieusement le détective.

— Heureusement non, mais des malfaiteurs impies ont violé une tombe dans le cimetière.

— Tiens, c’est donc la raison pour laquelle il y a tant de monde dans le cimetière.

— Oui, mes paroissiens, indignés de cet attentat, vont de leurs yeux en constater l’horreur.

Il y eut un silence.

Jules Laroche se repliait sur lui-même avant de se lancer à l’assaut de ce problème.

Le curé le regardait.

En ce moment, Champlain entra dans la pièce :

— Monsieur Laroche, questionna-t-il, dois-je laisser l’auto sur le bord de la route ? Il y a danger que des passants peu prudents n’en bossent les ailes.

Le détective plongé dans ses réflexions se contenta de répondre :

— Fais comme si l’automobile t’appartenait.

Comme Champlain allait sortir, son maître se ravisa :

— Entre l’auto dans la cour, dit-il, et va au cimetière. Là, tu écouteras les conversations de tous, et tu me feras un rapport fidèle.

— Très bien, monsieur Laroche, comptez sur moi.

Champlain sortit immédiatement pour aller exécuter les ordres du détective.

Quand le curé et Jules furent seuls, celui-ci demanda :

— Quel est le nom du défunt dont on a violé la tombe ?

— Il n’y avait aucune inscription, aucun monument sur cette tombe ; de sorte que personne ne sait à quelle famille appartenait le cadavre. D’ailleurs il est mort depuis au-delà de 150 ans, j’en suis sûr, car les bandits n’ont remué que des os. Mais je crois savoir le nom de celui qui reposait dans la tombe profanée. Il s’agit d’une histoire longue. Laissez-moi commencer au début.

Le vieux curé bourra sa pipe, l’alluma et commença :

— Je venais d’être nommé curé de St-Henri par le Cardinal Taschereau, d’illustre mémoire. Comme vous pouvez le voir, il y a bien des années de ça. Dans le temps, le cimetière avait besoin d’être agrandi. Un matin, comme j’étais à visiter un champ voisin dans le but de m’en servir pour agrandir le cimetière, je mis le pied sur quelque chose de dur. Immédiatement je ramassai l’objet. C’était un petit monument funéraire en bois. Une inscription était gravée sur la face du monument. Quelle ne fut pas ma surprise !