Page:Huot - Le trésor de Bigot, 1926.djvu/44

Cette page a été validée par deux contributeurs.
42
LE TRÉSOR DE BIGOT

perdu de vue. Ton plan n’était pas mauvais. Moi-même, je n’aurais pas mieux combiné, organisé et exécuté cet enlèvement. C’était audacieux, mais d’un jugement sûr.

Tricentenaire sourit de contentement :

— Comment ! Vous me suiviez ! s’écria-t-il.

— Oui. Mais explique-moi pourquoi tu ne m’as pas trompé tout en paraissant le faire, pourquoi tu me cachais toutes tes actions.

— C’est que je voulais sauver mon père de la prison. C’est un criminel, mais c’est en même temps l’auteur de mes jours. Et puis, autrefois, quand il n’était pas ivre, il avait des moments de tendresse pour moi. Je n’ai pas oublié ça.

Champlain avait les larmes aux yeux.

Il continua en les essuyant furtivement :

— Et puis, je vous admirais, et je voulus vous imiter. Je crus que je pourrais vous sauver de la mort encore une fois et augmenter ainsi votre amitié pour moi. C’est pourquoi je me fis reconnaître par cette bande de criminels dans le but de jouer au détective. Mais j’eus vite fait de constater que la partie était trop forte pour moi.

Le détective resta songeur :

— Je n’ai rien, absolument rien à te reprocher, déclara-t-il. Mais tu m’as mis diablement inquiet. Laisse-moi te remercier. Tu as bien agi. Ta main, que je la serre !

Champlain paraissait avoir encore quelque chose à dire. Mais il lui en coûtait de parler.

Le détective s’en aperçut :

— Voyons, Tricentenaire, dit-il, je vois bien que ton histoire n’est pas finie ! Termine-la.

— J’aurais une grande faveur à vous demander, monsieur Laroche.

— Qu’est-ce que c’est ?

— Pourriez-vous faire quelque chose pour empêcher mon père d’aller de nouveau en prison ?

Le détective réfléchit quelques instants :

— Je crois que oui, dit-il, mais il va falloir prendre le grand moyen.

— Quel est-il ?

— C’est de l’envoyer en prison pour l’empêcher d’y aller.

Tricentenaire était ébahi.

Il interrogea :

— Mais, que voulez-vous dire ?

— Je puis téléphoner à la police d’arrêter ton père « sous soupçon » et de le garder jusqu’à ce que je dise de le relâcher. Ainsi nous ne lui rendrons la liberté que quand la bande sera sous verrous et il ne sera pas mêlé à cette retentissante affaire.

— Faites ça, faites ça, monsieur Laroche.

Le détective téléphona au bureau de la police et apprit à Tricentenaire que deux agents allaient immédiatement arrêter son père.

Puis :

— Une dernière question, Champlain, fit Jules. Avec qui causais-tu dans le cimetière de St-Henri, hier ?

— Avec mon oncle, mon parrain, celui qui a imaginé mon nom de baptême. Il fait aussi partie de la bande.

— Alors, c’est ton oncle qui a passé la nuit chez le notaire Morin l’autre semaine, se faisant passer pour un quêteux.

Tricentenaire regarda le détective, étonné.


XIV

LA FOSSE DU NOYÉ


L’explication de Tricentenaire était terminée. Le détective lui dit d’aller sortir le Sedan du garage.

— Il est évident, déclara-t-il, que le père Latulippe ne peut passer la nuit ici. Le bonhomme, dans l’état l’esprit où il est, n’aura rien de plus pressé demain matin que de se rendre chez le juge avec un avocat et de m’accuser de séquestration. Ce serait une affaire plutôt désagréable et qui gênerait mes mouvements dans la poursuite des criminels et la découverte du trésor. Nous allons donc immédiatement le conduire chez le notaire Morin, à St-Henri.

— Pourquoi pas chez lui, à Sorosto, fit Tricentenaire.

— J’aime mieux St-Henri. Mademoiselle Madeleine le calmera, lui expliquera ce qui s’est passé. Il faut que le vieillard entende raison si nous voulons qu’il nous livre le secret de la fosse du noyé.

Quand le père Latulippe vit Tricentenaire qui lui ouvrait la porte du Sedan, il fit une scène dans la rue, en face de la demeure du détective.

— Ah ! vous êtes des chenapans, s’écria-t-il, de nouveau en colère. Je vois le jeune poulain qui, après m’avoir enlevé mes liens dans la caverne, m’a reficelé et amené ici comme un paquet de vieux linge.

Jules fut impuissant à arrêter le poing du vieillard qui s’abattit sur la tête de Tricentenaire. En même temps, le père Latulippe poussa un cri de douleur. Le coup asséné avait sans doute ouvert une des plaies que la servante du détective venait de panser.

— Ah ! les sacrés lâches qui m’ont brûlé les