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LE TRÉSOR DE BIGOT

— Ah ! c’est monsieur Laroche, dit-il en souriant d’un sourire entendu.

Et il s’éloigna.

Tricentenaire sortait de la maison. Il recommanda à la servante :

— Ne quittez pas le vieux du regard. Ne répondez à aucun appel téléphonique. Si quelqu’un sonne à la porte, laissez-le sonner ; et si on vous attaque, déchargez tout ce que le revolver que je vous ai donné contient de balles. Quand monsieur Laroche arrivera, dites-lui de m’attendre, que je veux lui parler sans faute ce soir.

La servante tremblait d’effroi en écoutant ce discours !…

Tricentenaire sauta de nouveau dans le Sedan et prit le chemin de la basse-ville.

— Chauffeur, ne perdez pas cette automobile de vue, cria Jules en montrant dans le taxi.

Il sourit alors :

— Mon secrétaire fait comme si le Sedan lui appartenait, murmura-t-il. Pas de gêne ! comme dit mon père ; là où il y a de la gêne, il n’y a pas de plaisir. Mais du diable si je comprends un traître mot à toute cette histoire. Champlain est le plus mystérieux des hommes. Il ne lui manque plus que le chapeau noir pour jouer à merveille « Sir Mystère Fantôme » .

Le taxi descendit la Côte de la Montagne, prit la rue Sault-au-Matelot et obliqua vers le Cap Blanc, rendu au marché Champlain.

Quel est le canadien-français qui n’a pas entendu parler du Cap-Blanc ?

New-York a le Bowery, Paris a Montmartre, Montréal a la rue St-Laurent. Le Bowery, Montmartre, la rue St-Laurent, à Québec, ça s’appelle le Cap-Blanc.

Aujourd’hui, la place s’est épurée. De brave familles canadiennes-françaises et irlandaises y demeurent. Mais on y rencontre encore des durs-à-cuire, des fiers-à-bras, voire même des bandits.

C’est vers le Cap-Blanc que le chauffeur emmenait Jules dans son taxi.

Mais ils n’allèrent pas loin. Le Sedan conduit par Tricentenaire s’arrêta en face d’une taverne louche où le jeune homme entra.

Le détective laissa le taxi et fit une visite des abords des lieux.

Un cheval de bois était accroché au-dessus de la porte de la taverne et on pouvait lire sur l’enseigne que l’animal retenait par une de ses pattes et qui battait au vent :

« AU CHEVAL DE BOIS »

— Je jurerais que c’est ici la taverne du père Lacerte, pensa le détective.

Il voulait savoir ce qui allait se passer à l’intérieur de la maison entre le père et le fils.

Comment s’y prendre ?

Il chercha dans son esprit, appelant toutes les ressources de son imagination à son aide.

Soudain, il eut un large sourire :

— Eurêka ! J’ai trouvé ! fit-il.

Il retournera au taxi et exposa sa proposition au chauffeur. Celui-ci, sans plus se faire tirer l’oreille, se dépouilla de sa casquette et de son veston dont Jules Laroche s’affubla.

La casquette rabattue sur les yeux, il entra dans la taverne du père Lacerte.

Mais était-ce bien la taverne du père Lacerte ?

Oui, car en entrant, le détective vit le bonhomme en train de fournir son feu à une conversation animée, avec Champlain-Tricentenaire.

Un instant plus tard le père et le fils disparaissent dans une pièce voisine.

Comment faire pour épier leur conversation ?

Jules alla s’asseoir tout près de la porte par laquelle le père Lacerte et Champlain avaient pénétré dans la pièce et s’assit à une table, commandant au commis :

— Une bouteille de bière et de la bonne !

— Une grosse, une petite ?

— Celle que tu voudras.

Comme il prononçait ces dernières paroles il se leva comme pour réparer les désordre de son veston et poussa légèrement la porte qui s’entr’ouvrit.

Un ivrogne vint s’asseoir près de lui. Mais le détective, par un mutisme complet, découragea complètement les tentatives de conversation de l’irlandais ivre.

Des rumeurs imprécises lui parvenaient de la pièce voisine. Puis, peu à peu, les deux voix se rapprochèrent comme si les interlocuteurs revenaient vers la salle où se trouvait le détective.

Celui-ci prêta l’oreille avec une attention infinie, oubliant complètement les bruits des buveurs autour de lui.

Tricentenaire parlait :

— Je vous avertis en bon fils, papa. Il vaut mieux pour vous de ne pas vous occuper de cette affaire. Le chef est sur le point de se faire arrêter. Mon maître l’a