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LE TRÉSOR DE BIGOT

vaines, répondit la paysanne ; mais je crains qu’il ne soit arrivé malheur à mon père.

Le détective eut un mouvement de surprise et prêta une oreille plus attentive encore.

— Où est donc le père Latulippe ? questionna la jeune fille que l’anxiété gagnait.

La paysanne se recueillit, puis :

— Laissez-moi vous raconter tout, dit-elle, en commençant par le commencement : Nous venions de nous mettre à table pour dîner, mon père, mon mari, moi, et les enfants, quand j’entendis frapper à la porte. J’allai ouvrir. Deux hommes entrèrent. « Est-ce que monsieur Latulippe est ici ? » questionna l’un d’eux. — « Oui », répondis-je. Je fis alors venir mon père. Les deux inconnus lui expliquèrent qu’ils étaient reporters dans un journal de Québec et qu’ils voulaient visiter et photographier la maison où était né le cardinal Bégin afin d’en faire un article illustré pour leur journal. Comme ils ignoraient où se trouvait cette maison, ils demandèrent à mon père de les conduire. Celui-ci s’empressa d’accepter, car il ne perd jamais une occasion de jaser des choses du passé ; et c’en était une splendide. Ils partirent tous trois et disparurent dans le petit bois qu’il faut traverser pour se rendre à la maison où est né le cardinal. Une heure, deux heures se passèrent, et mon père n’était pas encore de retour. J’envoyai un de mes enfants à la maison qu’ils devaient visiter. Il revint et me dit que personne n’était venu à cette maison au cours de la journée et qu’on n’avait même pas aperçu l’ombre de mon père. Mon inquiétude devint de l’anxiété. Je courus au petit bois dont je fouillai tous les recoins. Personne ! Je me rendis à la demeure des Potvin, sur le bord de la route nationale. Madame Potvin me dit qu’elle avait vu une automobile arrêtée près de là. Il n’y avait personne dans la voiture. Quelque temps après, elle a regardé à la fenêtre. L’automobile avait disparu. Depuis lors, je suis plongée dans la plus mortelle inquiétude. Où est mon père ? Je ne lui connais pas un seul ennemi. Qui donc pourrait en vouloir à un vieillard de 101 ans qui n’a jamais fait de mal à personne ? D’ailleurs, il n’avait pas un sou sur lui quand il a quitté la maison.

Le détective se fit alors indiquer l’endroit où se trouvait le petit bois. Puis il partit. Madeleine voulut l’accompagner ; mais il lui dit que c’était inutile et que d’ailleurs il aimait mieux être seul.

Jules se rendit d’abord à la maison des Potvin. La paysanne le reçut avec un brin de méfiance. La visite de sa voisine l’avait mise sur ses gardes.

Cependant elle ne se refusa pas à lui indiquer l’endroit exact où se trouvait l’automobile sur la route. Quand Jules lui eut montré son insigne de détective, elle le couvrit d’un véritable déluge de questions auxquelles il ne répondit point, prenant congé de la paysanne.

Jules Laroche essaya alors de suivre la piste des pneus de l’auto sur la route. Mais cela lui fut impossible ; car le trafic était trop dense à cet endroit.

Il retourna alors dans le bois, marchant tête baissée, regardant partout et scrutant chaque fourré. À la fin il s’arrêta à un endroit situé près de la route, à quelques pieds de la place où la paysanne lui avait dit que l’automobile était arrêtée. L’herbe haute y était foulée.

— Tiens, tiens, remarqua le détective à voix basse, il me semble y avoir eu lutte ici.

Il s’agenouilla sur l’herbe et, à quatre pattes, il scruta chaque pouce du terrain.

Mais ses recherches furent infructueuses. Ce que voyant, il sauta par-dessus la clôture qui séparait la route du petit bois et les poursuivit dans le fossé qui bordait le petit chemin.

Presque tout de suite il poussa une exclamation en retirant une canne rugueuse et robuste du fossé. Quelques instants plus tard il découvrait un bonnet de laine gris.

La canne d’une main et le bonnet de l’autre, il retourna à la demeure du père Latulippe.

Madeleine et la paysanne l’attendaient sur le perron. Quand cette dernière vit le détective elle courut à lui :

— Mon Dieu ! Mon Dieu ! s’écria-t-elle, mais c’est la canne et le bonnet de papa. Où avez-vous trouvé ces objets ? Ciel ! On a assassiné mon pauvre vieux père !

Le détective tenta de la calmer :

— Non, non, madame, ne craignez rien, dit-il, je vous assure que votre père est bien vivant. Ses ravisseurs ne le tueront point, car, mort, il ne leur vaudrait rien, tandis que vivant, il est d’un prix inestimable pour eux.

Puis se tournant vers la jeune fille :

— Il n’y a pas de doute, continua-t-il, que le père Latulippe a été enlevé par la bande de criminels que nous poursuivons. Ils veulent lui arracher le secret de la fosse du noyé. Tant que le vieillard n’aura pas parlé, sa vie ne sera point en danger. Mais s’il révèle le secret, c’est un homme mort ; car les bandits se débarrasseront sûrement de ce témoin gênant.