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LE TRÉSOR DE BIGOT

son « Racer » devant le chalet et alla trouver le docteur. Celui-ci le reconnut de suite.

La conversation s’engagea.

— Passe-t-il beaucoup de voitures sur ce petit tronçon de route ? questionna le détective.

— Oh ! oui, depuis que Jean a bâti son bungalow. Vous comprenez, dans sa position, il compte beaucoup d’amis. À tous les jours, il y en a des dizaines qui viennent le voir. Depuis quelque temps, il passe aussi des gens mal vêtus, des vagabonds dont je redoute la présence. La nouvelle se répand que mon fils s’enrichit à la Bourse et je suis sûr que ces vagabonds sont des voleurs qui guettent l’occasion de le détrousser.

Jules avait eu le renseignement qu’il désirait. Il savait bien, lui, que si ces vagabonds étaient des voleurs, ils n’allaient pas chez Labranche pour le détrousser mais bien pour s’organiser dans le but de voler le trésor de Bigot.

Il eut alors l’idée de faire venir une escouade d’agents de police de Québec, de les embusquer sut cette route et de faire arrêter tous les membres de la bande qui passeraient. Mais non, agir ainsi était folie. Le juge les libérerait tous le lendemain matin en Cour de Police ; il n’avait aucune preuve sérieuse contre eux.

Le détective savait beaucoup de choses ; mais il n’avait aucun atout en mains.

Le vieux docteur, hospitalier comme ses ancêtres savaient l’être à la fois magnifiquement et simplement, « sans cérémonie », comme ils disaient, invita les jeunes gens à dîner chez lui.

En effet, l’heure du repas était arrivée : il était midi et demi.

Après le refus d’usage, Jules et Madeleine acceptèrent. Ils entrèrent avec le docteur dans le chalet où le vieillard les introduisit dans une petite pièce remplie de livres, de revues et d’instruments de chirurgie.

— Avez-vous encore une grosse clientèle de patients ? demanda le détective au vieux médecin.

Celui-ci répliqua avec un signe de tête négatif :

— Oh ! non, fit-il, je n’ai conservé que mes vieux amis qui, hélas ! disparaissent rapidement de ce monde. Un jeune confrère est venu s’installer ici il y a quelques années. Comme les vieux doivent céder la place aux jeunes, c’est une grande loi de la vie, je me suis effacé. D’ailleurs, un accident grave dont je fus victime dans le temps me força à garder la chambre pendant plusieurs mois. Quand ma convalescence fut terminée, il y avait une bonne brèche dans ma clientèle. Je possédais un tout petit capital. Avec lui et la clientèle qui me restait, nous avons vécu, ma femme et moi. Je fais huit ou dix visites par jour à mes clients, c’est tout. Le reste de mon temps, je le partage entre mes livres et mon jardin.

Madame Labranche annonça que le repas était servi.

À table, l’épouse du docteur causa presque continuellement de son fils pour lequel elle avait une véritable adoration. Jean semblait aussi aimer beaucoup sa mère. Il la comblait de cadeaux et de gâteries de toutes sortes. Les tartes aux fraises qu’il y avait sur la table, Jean les lui avait apportées la veille de Québec. L’assiette à pain en argent était encore un cadeau de Jean qui lui avait donné à sa fête cette magnifique théière.

Quelle douleur pour cette mère si elle apprenait un jour la conduite de son fils !…

La pauvre femme mourrait sans doute de chagrin.

On se leva de table. Après quelques minutes de causerie, les deux jeunes gens allaient prendre congé de leurs hôtes quand ils entendirent une automobile qui semblait s’arrêter sur la route.

Madame Labranche courut à la fenêtre :

— C’est mon fils, mon fils Jean qui arrive, dit-elle avec joie.

Jules et Madeleine se regardèrent…

La jeune fille aurait voulu s’esquiver, éviter une présence qu’elle jugeait grosse de conséquences.

Mais le détective ne l’entendait pas ainsi. Il ne voulait point perdre cette dernière occasion peut-être de rencontrer le jeune bandit. Et puis, il avait pensé à une expérience qu’il pourrait faire s’il se trouvait de nouveau face à face avec Jean Labranche. Cette expérience, il allait maintenant la tenter.

Au fait, était-ce la manche gauche ou la manche droite du veston qui était trouée d’une balle à deux endroits ? Il se revit dans le bungalow ; il reconstitua dans son esprit la scène ; il était debout faisant dos à la fenêtre. D’abord il avait examiné le veston par en arrière. Ah ! oui, c’était bien la manche gauche que la balle avait traversée.

Jean Labranche entra dans la maison, les bras chargés de paquets.

Sa mère lui sauta au cou. Quelques paquets tombèrent sur le plancher.

— Maman, maman, dit-il joyeusement, tu vas casser les quelques cadeaux que je t’apporte.

— Comment, encore ! mon cher enfant, ré-