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LE TRÉSOR DE BIGOT

marqua point Tricentenaire qui passait dans la rue, conduisant la Buick.

Après avoir payé le barbier, il sauta dans son « racer » et, hop ! là ! vers St-Henri.

Il fut bien dépité, quand, sur la rue St-Georges, il s’aperçut que la route Lévis-Jackman venait d’être fermée aux fins de la circulation. Le département provincial de la voirie avait décidé d’arroser la route ce jour-là d’huile de goudron.

Le gardien du blocus lui indiqua le chemin à suivre pour se rendre d’une autre façon au même endroit ; il devait prendre la vieille route qu’on avait abandonnée après la construction du nouveau chemin Lévis-Jackman, vieille route que les ancêtres avaient baptisée : « Le Vieux St-Henri ».

Jules Laroche connaissait cette route pour y être passé une fois.

Il fila donc sur la rue St-Georges et traversa Villemay. Après avoir d’un coup de chapeau salué l’église de St-David de l’Auberivière, il quitta le chemin pavé et prit le « Vieux St-Henri ».

La route n’était pas faite pour la circulation automobile. Des trous, des ornières, de traîtres monticules se laissaient voir partout. Jules fut obligé de se mettre en seconde vitesse, ralentissant à cinq ou six milles à l’heure.

La route était mauvaise, mais le paysage pittoresque.

De temps en temps, à un tournant de chemin, la rivière Etchemin apparaissait, coulant en cascades dans une gorge aux ailes rocailleuses où le lierre, par un travail infiniment patient, avait réussi à s’agripper.

La petite vitesse à laquelle il filait donnait à Jules tous les loisirs de contempler le paysage qui s’enrichissait sous les rayons du soleil.

Le « Racer » roulait silencieusement. Soudain le détective arrêta son auto derrière un bosquet. Il écarta quelques branches à portée de sa main et regarda.

Partout, autour de lui, c’était la forêt. Il n’y avait aucune maison en vue. La rivière Etchemin roulait ses petites vagues agitées au pied d’un cap coupé à pic dans le roc vif.

Jules regardait toujours…

Un homme sortit d’une touffe d’arbres, se dirigea vers le cap et disparut.

Cinq minutes s’écoulèrent…

Deux autres silhouettes apparurent qui firent le même manège que la première.

— Diable de diable ! murmura le détective à voix basse. S’il n’était déjà neuf heures et dix minutes j’irais voir ça, là-bas, certes. Mais une besogne plus importante m’attend à St-Henri.

Il fit repartir son racer.

Tout à coup, il entendit une voix qui criait dans un fourré :

— Arrête, détective, ou nous te flambons la cervelle.

Loin d’obéir à cet ordre, Jules Laroche poussa d’un coup sec l’accélérateur de vitesse. Le « Racer » bondit, avançant à une vitesse effrénée sur la route cahoteuse.

Plusieurs coups de fusil ou de revolver furent tirés sur le détective. L’un des coups creva un de ses pneus d’arrière. Un autre brisa la vitre de son pare-vent. Jules s’était penché, le corps sous le siège, de façon à éviter les balles.

Soudain, il entendit une détonation qui semblait partir d’un autre endroit, et le bandit dans le fourré, poussa un hurlement de douleur.

Était-ce encore un ami mystérieux qui le sauvait en blessant son criminel assaillant ?

Quand il fut à un mille ou deux du théâtre de l’attentat, le détective ralentit son automobile et continua à petite vitesse, calme comme si rien ne s’était passé.

Il entendit quelques minutes plus tard le ronflement d’une machine dans le lointain.

— Sapristi, dit-il tout haut, je crois que les bandits sont à ma poursuite. Filons.

De nouveau, le char bondit sous l’accélérateur. Jules descendit à toute vitesse une côte raide et passa sous un pont de chemin de fer. À ce moment il se ravisa : Il était bien bête de fuir, pensa-t-il. Pourquoi ne se cacherait-il pas de l’ennemi ? C’était une occasion splendide de surprendre l’identité des criminels. Il n’y aurait pas de doute pour lui que l’assaut sur la Terrasse et l’attentat dont il avait failli être la victime quelques minutes auparavant avaient été perpétrés par la même bande qui avait violé la sépulture de Marcel Morin et attaqué le notaire dans la nuit.

Jules vit une touffe d’arbres favorables à la cachette, sur le bord de la route. Il quitta le chemin et fit pénétrer son automobile dans l’endroit le plus touffu. Puis il écarta une branche de façon à voir bien ce qui se passait sur la route et attendit…

Soudain un gros chien arriva sur lui et aboya comme un forcené. Un cultivateur qui travaillait dans un champ voisin, attiré par les cris de la bête, regarda. Jules lui fit signe de venir. Il arriva à grandes enjambées.

— Est-ce que ce chien vous appartient ? questionna le détective.

— Oui.