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LE TRÉSOR DE BIGOT

prendre la rue des Remparts, il aperçut Tricentenaire qui fixait son regard obstinément sur la Terrasse.

— Il est inutile que vous alliez plus loin, dit-il aux policiers. Je demeure tout près. Contentez-vous de me regarder jusqu’à ce que j’aie disparu dans ma maison.

Les agents obéirent.

Jules traversa la chaussée.

Tricentenaire, regardant de l’autre côté et ne le voyait pas venir.

Le détective surprit une anxiété, une grande anxiété qui se peignait sur la figure de son serviteur.

— Champlain, demanda-t-il avec une teinte de sévérité, que fais-tu dans la rue ? Mon automobile est-elle lavée ?

La physionomie de Tricentenaire passa de l’anxiété à la joie quand il aperçut son maître.

— Mais, monsieur Laroche, on vous a attaqué, dit-il.

— Comment le sais-tu ?

— Vos vêtements sont tout sales. Vous avez un œil au beurre noir. Votre pantalon est déchiré.

— C’est vrai, fit le détective en riant, j’ai besoin d’un nouveau vernissage pour reconquérir mon air de dandy. Mais toi, Tricentenaire, comment se fait-il que tu ne sois pas en train de laver mon auto ?

Champlain, toussa, rougit, cracha, avala sa salive, cherchant une explication. À la fin, il dit :

— J’ai eu comme un pressentiment qu’il vous arriverait malheur, monsieur Laroche, et, comme je sais que chaque matin vous faites votre marche sur la Terrasse, je suis venu voir.

— Hein ! c’est une explication de spirite que tu me donnes là, jeune homme ! Enfin, passe ; va continuer ton ouvrage.

Champlain ne se fit pas prier pour disparaître.

Jules Laroche n’était plus satisfait, mais plus satisfait, du tout de son secrétaire et factotum.

Sa conduite était sûrement louche. Cependant le détective hésitait à croire Tricentenaire coupable de connivence avec l’ennemi. Par deux fois, le fils du père Lacerte lui avait sauvé la vie. Au cours d’une descente dans une fumerie d’opium, Champlain avait brûlé la cervelle d’un chinois qui était sur le point de décharger son revolver sur le détective. La seconde fois, Tricentenaire l’avait tiré de la rivière Jacques-Cartier au moment où il allait se noyer. Car la seule faiblesse de Jules dans son métier c’était qu’il ne savait pas nager. Jamais il n’avait réussi, malgré ses multiples efforts, à apprendre la natation.

« Enfin, se dit le détective en déjeunant, comment puis-je croire au double jeu d’un jeune homme qui, à deux reprises, m’a sauvé la vie, d’un jeune homme que j’ai tiré d’un véritable bouge d’infamie et à qui, depuis, j’ai fait la vie belle et agréable, d’un jeune homme qui s’est toujours montré dévoué à mes intérêts corps et âme ! »

Huit heures venaient de sonner.

— Bon, il est temps de partir pour St-Henri, se dit le détective. J’ai promis à mademoiselle Morin d’être là à neuf heures. Je serai sûrement en retard.

Il se rappela l’appel téléphonique de la nuit, le vol des bouts de parchemin.

Les bandits ne perdaient pas de temps. La nuit avant la veille, ils avaient profané la sépulture de Marcel Morin, croyant y découvrir le trésor, parce qu’ils avaient mal interprété l’inscription : « Emportant avec lui dans sa tombe le secret du trésor de Bigot, Intendant de la Nouvelle-France. »

Évidemment, Marcel Morin n’avait pas emporté avec lui dans sa tombe le trésor lui-même ; sa veuve n’aurait certes pas laissé les choses se passer ainsi. Les criminels qui avaient violé sa fosse avaient commis cet acte sacrilège après une lecture hâtive de l’inscription. S’ils eussent réfléchi, ils n’auraient pas accompli cette inutile et scandaleuse profanation. Mais ils avaient cru que le trésor était là, quand ce n’était que le secret de ce trésor que Marcel Morin avait emporté dans sa tombe.

Peut-être aussi, réfléchit Jules, les criminels ont-ils cru que ce secret était là, dans la fosse, sous la forme d’une lettre accusatrice.

Non, pensa le détective, revenant à sa première idée, les bandits ne perdent pas leur temps. Après avoir ouvert une tombe, ils volent les deux bouts de parchemin et m’assomment sur la Terrasse, tout cela en moins de 36 heures. Évidemment j’ai affaire à une bande bien organisée. La lutte sera serrée. Tant mieux ! J’aurai l’occasion de déployer tout mon talent avec mademoiselle Morin comme spectatrice. Et cette jeune fille me plait, me plait beaucoup.

Entendant du bruit dans la cour, Jules Laroche ouvrit la fenêtre et regarda. Quelle ne fut pas sa surprise de voir Tricentenaire en train de donner une fessée des mieux conditionnées à un jeune homme :

— Ah ! Tu voulais briser le bel automobile de monsieur Laroche, animal ! Attrape ! Vlan ! Un coup de poing en pleine figure.