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LE MASSACRE DE LACHINE

Julie, il la supplia, si elle tenait encore à la vie, de ne pas faire un seul mouvement. Prenant la rame, Kandiarak dirigea le canot vers le rapide. Terrible tentative ! Mais l’image de ses parents massacrés de sang-froid et traîtreusement par le Serpent lui-même, et le souvenir d’Isanta lui donnèrent une ardeur qui lui faisait braver la mort et oublier toute prudence. Tambour partageait la haine du Huron pour le meurtrier d’Isanta, et, dans son ardeur de vengeance, ne redoutait aucun péril.

Sous la main de fer de Kandiarak, le canot franchit les ondes bouillonnantes avec la rapidité de l’oiseau.

Au pied du rapide, le Huron accosta le canot ennemi et l’aborda le tomahawk à la main. Le Serpent lança son tomahawk à la tête du Huron. Il manqua son coup, et poussant un cri de rage, il mit son couteau entre ses dents, se jeta à l’eau et nagea vers la rive qui n’était qu’à un quart de mille. Kandiarak, après avoir jeté son tomahawk à la tête du sauvage qui se trouvait près de lui, prit aussi son couteau entre ses dents et plongea à la poursuite du Serpent. Ce dernier, regardant en arrière, vit que Tambour et de Belmont avaient abordé son canot et fait prisonnier les deux autres Abénaquis. Mais le Huron avait atteint le Serpent qui se retourna.

« Chien et lâche, enfin je te tiens ! » hurla le Huron en approchant de son mortel ennemi. Ils plongèrent tous les deux, chacun ayant saisi son ennemi de la main gauche et brandissant son couteau de la main droite.

Tambour et de Belmont ramèrent vers l’endroit où les chefs avaient disparu et qu’ils discernaient au bouillonnement des eaux. L’anxiété était peinte sur leurs visages ; ils supposaient que les deux chefs avaient péri. Mais il n’en était pas ainsi. Un des chefs reparut brandissant son couteau de la main droite. C’était Kandiarak. La seule blessure qu’il eût reçue dans cette horrible lutte était une horrible égratignure à la main droite.

« Ah ! ah ! s’écria le chef victorieux en s’asseyant dans le canot, j’avais dit à mon ennemi lorsque je le frappai de mon tomahawk, après avoir subi l’épreuve terrible, que c’était mon second coup à l’adresse du Serpent — que la prochaine fois je lui donnerais le coup de mort. Je disais la vérité ; j’ai tenu ma promesse — je suis satisfait ! »

* * *

Deux heures après cette lutte horrible, Kandiarak et Tambour étaient en route pour Michilimakinac, et le lieut. de Belmont avec sa fiancée, Julie du Châtelet, étaient sains et saufs dans la maison de M. de Callières, à Montréal.

* * *

Quinze ans s’étaient écoulés et la confédération iroquoise s’était soumise, grâce à la vigoureuse administration de M. de Frontenac.

Il était tard dans la soirée du 5 août, anniversaire du « massacre », nom sous lequel la terrible catastrophe de Lachine est désignée dans les annales de la colonie, lorsque deux hommes portant le costume des Hurons entrèrent chez M. le colonel de Belmont, à Montréal.

Le colonel et sa femme, Julie de Belmont, les reconnurent aussitôt et les reçurent avec les marques de la plus vive amitié. Ces deux hommes, encore dans la force de l’âge, étaient Kandiarak et Tambour.

« Nous sommes venus, dit le chef huron, pour voir votre petite fille qui s’appelle Isanta.

— Je lui souhaite la bonté et la beauté de son homonyme, dit Tambour d’un ton grave, mais rien de plus. »

Julie de Belmont se retira quelques instants et revint, conduisant par la main une jolie petite fille de quatre ans, aux yeux noirs et aux joues vermeilles.

Tambour prit dans sa ceinture un collier de perles qu’il passa à son compagnon. En le voyant, Julie poussa un cri de joie.

— « Ce collier appartenait à ma sœur Isanta, et il m’a sauvé la vie.

— Il vous a sauvé à Lachine, dit le chef huron ; ce fut la seule récompense que j’acceptai pour vous avoir sauvés, vous et votre mari. Mon frère blanc l’a eu depuis. Mais nous sommes venus pour le donner à votre fille qui porte le nom de ma sœur. »

À ces mots, le chef passa le collier au cou de l’enfant, la prit dans ses bras et l’embrassa ; Tambour en fit autant.

Un instant après, les deux hommes avaient disparu. De Belmont, tout surpris, les suivit pour les ramener et leur offrir l’hospitalité. Mais ils ne voulurent pas y consentir. Se dirigeant en toute hâte vers la rivière, ils sautèrent dans un canot ; et au bout de quelques instants Kandiarak, le Rat, le « Machiavel de la forêt », et Tambour étaient hors de vue. Mais les colons garderont toujours leur souvenir.


FIN.