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LE MASSACRE DE LACHINE

nouveau venu s’approcha de la maison, se mettant ainsi hors de la portée des balles, et grimpa sur les épaules d’un compagnon, jusqu’aux gouttières ; là, il appliqua sous le toit une torche enflammée. Dans quelques instants, le toit fut tout en feu et tomba à l’intérieur avec un horrible craquement. Ce nouveau mode d’attaque avait réussi, car la décharge de mousqueterie cessa immédiatement, et les cris des assiégés venaient prouver aux sauvages que la mort, sous son aspect le plus terrible, achevait ceux que le tomahawk n’avait pu atteindre.

Peu à peu les cris s’affaiblirent, et le dernier venait de se faire entendre, lorsqu’un jeune homme, presque suffoqué par la fumée et portant une femme dans ses bras, s’élança, dans les ténèbres, au milieu des ennemis.

Le guerrier qui avait mis le feu à la maison leva son tomahawk, mais ne frappa pas. Un instant après, une demi-douzaine de sauvages arrachaient la femme des bras du jeune homme qui partait l’uniforme d’officier supérieur. Pour cette raison, il fut arrêté et réservé pour la torture.

Un sauvage, plus grand que les autres, s’était emparé de la jeune femme, et, la saisissant par ses cheveux épars, tirait déjà son couteau pour la scalper, lorsque l’œil rapide du guerrier qui avait mis le feu à la maison aperçut un collier blanc au coup de la victime. D’un bond il fut près du sauvage, arrêta son bras, et fixant la jeune fille qui se débattait, il prononça le nom d’Isanta : « J’étais sa sœur, dit-elle d’une voix mourante, puis elle s’évanouit.

— Arrière ! cette jeune fille m’appartient ! dit-il au guerrier qui tenait toujours sa victime par les cheveux.

— Elle est à moi ! répondit le sauvage.

— Je suis Kandiarak, reprit le guerrier. Laisse aller cette jeune fille. »

Le sauvage n’osa pas désobéir, et laissant la jeune fille qui n’était autre que Julie du Châtelet, il alla se mêler à ses compagnons.

Soulevant la jeune fille comme il aurait fait d’une plume, Kandiarak se tournant vers un groupe de sauvages qui, bien qu’avides de sang, s’étaient arrêtés comme stupéfaits, Kandiarak leur dit : « Amenez ici le compagnon de cette jeune fille. »

On l’amena. Kandiarak reconnut de Belmont.

Arrivé au bord, Kandiarak se baissant ramassa une torche qui fumait encore et, ranimant la flamme, il brandit cette torche trois fois autour de sa tête. Au bout de quelques instants, un canot qui se trouvait à quelque distance se dirigea rapidement vers l’endroit où se tenait le Huron, et celui qui le montait s’élança rapidement sur la grève.

« Frère des Hurons, dit Kandiarak — car ce n’était autre que notre vieille connaissance Tambour — je viens de sauver deux de nos amis qu’il faut maintenant aider à s’enfuir. »

Tambour reconnut tout de suite le compagnon de Kandiarak, et lui serra chaleureusement la main. Mais ce n’était pas le moment des longs discours et, faisant signe à de Belmont de le suivre, Tambour aida Kandiarak à placer Julie dans le canot. Dans moins de cinq minutes, la petite embarcation, poussée par les bras vigoureux de Tambour et du chef huron, était hors de vue de la rive.

Après s’être reposés quelques minutes pour faire revenir la jeune fille de son évanouissement et pour délibérer sur ce qu’ils avaient à faire, Kandiarak et son compagnon allaient se mettre à ramer et remonter la rivière pour se rendre chez les Hurons, quand l’oreille exercée du sauvage entendit au loin le bruit d’une rame. Passant la sienne à Tambour, le Huron alla se mettre à l’arrière du canot et écouta attentivement dans la direction d’où venait le bruit. Tout-à-coup, baissant la voix, il dit à Tambour : « Passe-moi un pistolet. »

Tambour obéit, et le Huron, en attendant que le canot, qui arrivait presqu’en ligne avec la poupe du sien, fût à une distance d’environ douze verges, il tira dans la direction de l’esquif.

La flamme éclaira un instant l’embarcation, et l’œil exercé du chef huron reconnut ceux qui le montaient.

« C’est un canot des Abénaquis ; s’écria-t-il. Je vois le Serpent. Maintenant, vengeance ! »

Le Huron écouta un instant et s’aperçut que le canot abénaquis descendait le fleuve. Il donna ordre à Tambour de virer de bord pour se mettre à la poursuite.

Pendant ce temps, Julie du Châtelet avait repris connaissance et, d’une voix faible, elle demanda où elle était et où on la menait.

Kandiarak donna ordre à de Belmont de faire coucher la jeune fille dans le fond du canot et de la couvrir de deux peaux de buffle. Le jeune homme obéit.