Page:Huot - Le massacre de Lachine, 1923.djvu/40

Cette page a été validée par deux contributeurs.
38
LE MASSACRE DE LACHINE

Le marquis, jetant sur Tambour un regard de compassion, lui répondit à voix baisse : « Elle est morte ! »

Kandiarak et Tambour se regardèrent et, pénétrés de la même douleur, ils répétèrent ensemble ce seul mot : « Morte ! »

Le brave Tambour ne put retenir ses larmes.

« Courage ! camarade, dit le chevalier de Vaudreuil, un de mes lieutenants a été tué dans une bataille avec les Iroquois ; avec le consentement du marquis, je t’offre sa place.

— Je vous donne mon consentement, et j’espère que notre ancien quartier-maître acceptera, dit le marquis. »

Tambour s’essuya les yeux avec sa manche, et répondit :

« Mille remerciements, messieurs, mais je ne puis accepter. Si Isanta vivait, ce serait différent ; mais puisqu’elle est morte, je retourne avec les siens. »

Kandiarak serra chaleureusement la main de son compagnon.

Le marquis de Denonville appela le lieut. de Belmont auprès de lui et il lui dit :

« Je suis extrêmement heureux de vous informer que vous êtes honorablement acquitté et que vous pouvez reprendre immédiatement votre service. »

De vifs applaudissements accueillirent ces paroles du gouverneur, et de Belmont sortit avec M. de Callières.

Presqu’au même instant, on entendit une détonation à l’intérieur du Fort ; quelques moments après, on découvrit le lieut. Vruze étendu mort dans sa chambre. Il avait quitté la salle inaperçu et s’était suicidé.

Le même soir, le marquis donna un banquet splendide à Kandiarak et aux autres chefs hurons et mit tout en usage pour faire oublier à son hôte les jours mauvais.

Le banquet terminé, Kandiarak informa le gouverneur qu’à l’arrivée de son messager à Michilimakinac, lui, le chef huron, se préparait à visiter le gouverneur pour lui offrir ses services dans une seconde campagne contre les Iroquois, et que, se trouvant tout rendu, il était prêt, avec ses cinq cents guerriers, l’élite de sa nation, à se joindre aux troupes françaises pour marcher tout de suite contre l’ennemi.

Le marquis exprima vivement sa gratitude au chef huron pour cette offre de service. Mais il exprima ce regret que le temps était mal choisi, parce que des négociations étaient commencées avec les Iroquois en vue de conclure un traité de paix, et que les envoyés de cette nation étaient déjà en route pour le Canada.

Le Rat fut cruellement désappointé à cette nouvelle ; mais toujours maître de lui-même, il ne fit pas un geste, ne dit pas un mot qui pût trahir son désappointement. Dès le matin, le chef partit, chargé des présents du gouverneur, et faisant des serments d’éternelle fidélité ; mais, dans le cœur, il avait voué au marquis une haine implacable.

En s’en allant, le Rat résolut de s’emparer des envoyés iroquois qui venaient pour conclure la paix. Dans ce but, il se mit en embuscade à L’Anse de la Famine, s’empara de tous les envoyés, massacra les uns et fit les autres prisonniers.

Les captifs furent amenés devant lui et il leur demanda, du ton le plus courtois et le plus aimable, où ils allaient et quel était l’objet de leur voyage. Ils lui répondirent qu’ils étaient envoyés par la nation des Iroquois pour conclure la paix avec le marquis de Denonville.

À cette nouvelle, le Rat exprima sa profonde surprise et informa ses captifs que c’était le marquis lui-même qui l’avait envoyé pour les arrêter. Et pour leur faire voir qu’il disait la vérité, le Rat mit ses captifs en liberté, n’en retenant qu’un seul pour remplacer un Huron tué par les Iroquois lors de la rencontre.

Le Rat, content du succès de son artifice, et laissant les envoyés retourner chez eux, se rendit en toute hâte à Michilimakinac. À son arrivée, il présenta l’envoyé iroquois qu’il avait retenu à M. de la Durantaye, l’officier français commandant le poste de Michilimakinac. M. de la Durantaye, qui n’avait pas encore reçu la nouvelle officielle de la trêve conclue avec les Iroquois, condamna l’envoyé à mort, comme espion. La victime en appela au Rat pour confirmer son assertion qu’il était envoyé par les Iroquois pour conclure la paix avec les Français, lorsqu’on l’avait fait prisonnier.

Le Rat, en réponse au malheureux prisonnier, lui demanda s’il rêvait ou s’il s’obstinait à raconter une histoire fausse d’un bout à l’autre.

L’envoyé fut mis à mort, et le Rat alla trouver un vieil Iroquois, depuis longtemps prisonnier chez les Hurons, et lui donnant la liberté, le chargea d’aller dire aux siens que les Français, tout en manifestant