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LE MASSACRE DE LACHINE

dans le carré, ses guerriers restant en dehors. Le chef s’avança vers le marquis et lui dit :

« Le chef des blancs a envoyé chercher le chef de la nation des Hurons. Le voici. Je suis Kandiarak. Mais que demande le chef blanc de son ami ? »

Le marquis sentit que l’œil rapide du Huron lisait dans sa pensée ; il se rappela dans quelle position Kandiarak s’était trouvé dernièrement à l’égard des Français, et il demeura un moment interdit à ce souvenir. Mais, au bout de quelques instants, il prit la parole :

« Kandiarak connaît-il ce jeune homme dit-il en montrant de Belmont.

— Je vais répondre, fit le Huron. J’ai vu ce jeune guerrier quand les chefs blancs tenaient conseil, il a empêché le Serpent de s’élancer sur moi avec son tomahawk. J’ai vu le jeune guerrier une seconde fois, quand il me poursuivait pour me mener au supplice. Je l’ai vu une troisième fois, quand mes braves l’ont emmené de force dans mon canot. Le premier soir de notre voyage, il s’échappa ; depuis lors, je ne l’ai plus revu. Voilà tout ce que je sais au sujet du jeune guerrier. »

Le marquis et les officiers poussèrent un soupir de satisfaction ; les soldats retinrent à peine un cri de joie ; quant à de Belmont, il était comme dans un rêve délicieux.

« Le chef des Hurons, reprit le marquis, n’aime pas sans doute qu’on lui rappelle les événements dans lesquels il a eu à souffrir. Mais, en considération de ses malheurs, je le comblerai de présents, et ces pénibles souvenirs seront effacés pour jamais.

— Parlez, dit Kandiarak, j’ai oublié toutes ces choses ; le brave examine le passé sans colère et envisage l’avenir sans crainte.

— Le chef huron parle en guerrier, dit le marquis, et je ne l’offenserai pas en lui demandant qui a mis le feu aux wigwams des Abénaquis ? »

Kandiarak répondit en tenant son regard scrutateur fixé sur le marquis :

« Le chef des blancs me promet-il de ne pas tirer vengeance de celui qui a fait la chose ?

— Je le promets, dit le marquis. »

Le chef huron s’éloigna pour aller consulter un instant ses guerriers. Il revint accompagné d’un autre chef, et le gouverneur et ses officiers remarquèrent qu’au moment où les deux Hurons entraient dans le carré, leurs compagnons se rapprochaient des soldats et manifestaient une certaine inquiétude.

« Ce chef, dit Kandiarak, est mon second. Il dira la vérité. Il s’appelle le « Frère des Hurons ».

Le nouveau venu fit au marquis et à ses officiers un profond salut qui leur donna une haute opinion de sa connaissance des manières européennes. Puis il parla ainsi en excellent français :

« Je suis celui qu’on appelait autrefois Jacques Tambour, quartier-maître au service du roi de France ; on m’appelle maintenant le « Frère des Hurons », et je suis le second chef de cette tribu ; c’est moi qui ai mis le feu aux wigwams des Abénaquis pour favoriser l’évasion de Kandiarak. J’ai fait cet acte à la demande d’une personne pour laquelle je donnerais volontiers ma vie. Le premier wigwam auquel j’ai mis le feu était celui du Serpent. Mais le dommage a été bien faible en comparaison de celui que le Serpent et le lieut. Vruze, du temps de M. de la Barre, l’ancien gouverneur-général, causèrent au roi de France lorsqu’ils vendirent trois mille peaux de castors aux trafiquants anglais, et prétendirent que les canots qui devaient les apporter à ce fort avaient péri dans une tempête. »

Le marquis, ses officiers et tous les soldats de la garnison demeurèrent comme frappés d’étonnement. Le lieut. Vruze tremblait de tous ses membres, il était livide de terreur.

« Jacques Tambour, je vous pardonne, dit le marquis ; je suis content que vous ayez aidé votre ami et allié Kandiarak qui, je le regrette beaucoup, a été la victime d’un cruel accident. »

Jacques Tambour fit un autre profond salut et exprima sa gratitude au marquis.

Kandiarak prit ensuite la parole.

« J’ai répondu aux questions du chef des blancs ; j’espère qu’il voudra bien me dire où est le Serpent ?

— Il a quitté le Fort la semaine dernière pour aller faire la chasse dans la vallée des Outaouais, répondit le marquis.

— Votre Excellence, dit Tambour, me pardonnera de lui demander s’il a forcé la jeune Isanta à le suivre ? »