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LE MASSACRE DE LACHINE

Iroquois fut complètement déçu. Kandiarak, le Rat, fit son apparition sur la scène et ses machinations déjouèrent tous les projets de conciliation, et devaient bientôt plonger toute la colonie dans une sanglante catastrophe.

Le Rat, après son évasion de Cataraqui et de retour à Michilimakinac, chef-lieu de sa tribu, commença à organiser ses menées contre le marquis de Denonville et la colonie en général. Le chef en voulait surtout au gouverneur, à qui il attribuait toutes ses mésaventures. Notre vieil ami Tambour, qui était devenu le confident intime du Rat, mit toute son habileté et tous ses arguments en jeu pour tâcher de persuader au Rat que tous ses malheurs venaient principalement de son refus de déclarer son rang et sa nationalité au marquis de Denonville. Mais le Rat ne voulut point entendre raison. Il prétendit que le gouverneur était indigne de sa position s’il ne savait pas distinguer un Huron d’un Iroquois. Il maintint que le marquis s’était rendu coupable non-seulement d’une grave injustice, mais d’une insulte impardonnable envers toute la nation huronne, en refusant de croire l’assertion solennelle de leur chef qui contredisait le faux témoignage du chef des Abénaquis. La honte d’avoir été fait prisonnier et d’avoir été soumis à une terrible épreuve devait être attribuée à la partialité du gouverneur pour le Serpent et à quelque haine secrète qu’il nourrissait contre le Rat. Cette haine, prétendait le Rat, avait dû être inspirée au marquis par le chef des Abénaquis. De plus, le chef huron était persuadé que le gouverneur avait toujours su qui il était, et que sa feinte ignorance à cet égard n’avait pour but que de satisfaire la haine du Serpent et de s’assurer les services des Abénaquis dans la guerre contre les Iroquois. Tout un concours de circonstances ne faisait qu’accroître le ressentiment du chef huron ; d’abord, il n’avait pu réussir à prendre ou à tuer le chef des Abénaquis ; en second lieu, il ressentait profondément l’humiliation d’avoir été livré à son ennemi mortel ; et enfin, il était fâché du départ d’Isanta avec de Belmont, parce qu’il voulait retenir ce dernier comme otage afin de demander au gouverneur une forte rançon.

Mais si vive que fût la haine du Rat pour le marquis de Denonville, il était bien trop prudent pour déclarer ouvertement la guerre. Aucun chef sauvage de cette période en comprenait mieux que lui les avantages que la civilisation donnait aux Européens dans une guerre. Il savait que les hommes rouges connaissaient mieux le pays, pouvaient se déplacer plus rapidement, et étaient supérieurs dans une attaque imprévue ; mais il connaissait également les points faibles des indigènes ; il savait que les colons étaient plus fermes dans la défaite, avaient des plans mieux arrêtés et que leur discipline était meilleure. Il résolut donc de se venger par la ruse et de n’employer la force qu’après avoir échoué par ce premier moyen, laissant le résultat au chapitre des accidents.

D’abord, il dépêcha vers les Iroquois des envoyés secrets pour les engager à former une alliance avec la nation huronne ; il informait en même temps les Iroquois qu’il resterait, en apparence, l’ami des Français, mais que du moment où ces derniers seraient en guerre avec les Iroquois, il passerait du côté des cinq nations, et, par cette combinaison, toute la colonie européenne du Canada serait bientôt anéantie.

Le Rat était occupé à préparer ce second mouvement, c’est-à-dire une visite au marquis afin de l’induire à déclarer la guerre aux Iroquois pour l’abandonner ensuite, lorsqu’un messager du marquis arriva à Michilimakinac et invita le chef à lui faire une visite amicale au Fort Cataraqui. Le chef accepta tout de suite cette invitation, qui secondait trop bien ses sinistres projets. Il quitta le canton huron le lendemain de l’arrivée du messager et, escorté de cinq cents guerriers, il partit pour le Fort Cataraqui.


CHAPITRE XII

L’HONNEUR EST SAUF. — « GUERRE À OUTRANCE »


Le dernier jour de grâce accordé au lieut. de Belmont, pour attendre son témoin, était arrivé. Le jeune homme, désespéré, était assis dans la chambre où on l’avait confiné et avait abandonné toute espérance de voir arriver le chef huron. Il attendait son sort avec l’apathie du désespoir ; car, après avoir longuement réfléchi à tous ses malheurs, il était devenu indifférent à tout ce que l’avenir pouvait lui réserver. Mais ce qui l’affligeait par-dessus tout, c’était le fait que, pendant toute la durée de son emprisonnement, Julie du Châtelet ne lui avait pas fait parvenir un seul mot de consolation ; pour elle, en un mot, le lieut. de Belmont semblait n’avoir jamais existé.

L’horloge venait de sonner midi ; c’était l’heure fixée pour le prononcé du jugement de la cour martiale. Henri de Belmont fut escorté