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LE MASSACRE DE LACHINE

Les accusations portées contre de Belmont étaient au nombre de deux :

1o — Avoir causé l’incendie de diverses habitations de la tribu sauvage des Abénaquis, amis alliés du roi de France ;

2o — avoir traîtreusement aidé et favorisé l’évasion d’un prisonnier appartenant à la nation des Iroquois, ennemis du roi — le dit prisonnier se trouvant sous la garde du roi et, d’après les lois de la guerre, condamné à mort comme espion.

À ces accusations, le lieut. de Belmont répondit par une dénégation formelle.

Le lieut. Vruze fit un réquisitoire minutieux, plein d’une ingénieuse méchanceté. En premier lieu, il affirma que le prisonnier, bien que se disant Huron, était un espion iroquois. En second lieu, il prétendit qu’il avait dû y avoir entente secrète entre le sauvage et le lieut. de Belmont ; et il prouvait cette assertion par le fait que le lieutenant avait suivi le prisonnier dans la salle du conseil et avait empêché le Serpent de tirer vengeance sommaire d’une insulte gratuite et désespérée. De Belmont avait, à maintes reprises, exprimé ouvertement l’opinion que le prisonnier devrait être libéré : que cet emprisonnement était une honte pour le marquis de Denonville. De plus, la conduite du lieut. de Belmont, le soir de l’évasion, prouvait clairement, de toutes manières, qu’il avait été le principal agent de cette fuite. Comment se faisait-il qu’en entendant la détonation du fusil, le lieut. de Belmont, qui était de garde, trouva la sentinelle bâillonnée et garrottée et ne songea pas à la détacher pour apprendre de cet homme les détails de l’évasion ? Comment se faisait-il que le lieut. de Belmont eût quitté le Fort immédiatement après le prisonnier, sans être aperçu par aucune des sentinelles ? Il n’aurait pu même franchir la porte sans être observé ; il n’aurait pu franchir la palissade sans être remarqué par la foule des soldats qui sortirent immédiatement au bruit de la détonation, dans la crainte d’une escalade des Iroquois au milieu de la nuit. Comment expliquer la disparition subite du lieut. de Belmont ? Il n’y avait qu’une réponse à toutes ces questions : il était sorti par la tranchée pratiquée sous la palissade. Jusqu’au lever du soleil, le lendemain matin, personne n’avait soupçonné l’existence de cette tranchée. Comment le lieut. de Belmont la connaissait-il ? Parce que le prisonnier et lui savaient qu’elle devait être pratiquée et qu’elle leur fournirait le moyen le plus sûr de mener à bonne fin leur conspiration. Mais, si blâmable que fût la conduite du lieut. de Belmont à l’intérieur du Fort, sa conduite au dehors était infiniment plus coupable. Afin de détourner l’attention des Abénaquis tandis que les Iroquois, amis du prisonnier, rôdaient autour du Fort, le lieut. de Belmont avait, de sa propre main, mis le feu aux wigwams des Abénaquis, mesure préliminaire la plus propre à assurer le succès de l’entreprise. Les pertes de cette peuplade, amie fidèle et alliée des Français, étaient immenses ; et sans le tact admirable du marquis et son influence sans exemple sur les Abénaquis, ces sauvages auraient pu devenir nos plus implacables ennemis ; en nous refusant leurs services, ils compromettaient le succès de la campagne. La cour martiale se refuserait peut-être à croire qu’un officier au service du roi de France pût descendre au rôle infâme d’incendiaire. Mais, hélas ! ce n’était que trop vrai. Le chef des Abénaquis lui-même avait vu le lieut. de Belmont mettre la torche. La cour martiale se demanderait naturellement quel était le motif de la conduite honteuse du lieut. de Belmont. Ce motif était une passion désordonnée pour la sœur du prisonnier qui, d’après la déclaration du Serpent, n’était pas Huron, comme il le prétendait, mais Iroquois. Ceci, toutefois, était plutôt une question de morale que de discipline, mais la cour saurait juger l’indigne conduite de l’homme qui, pour satisfaire sa passion, n’avait pas hésité à conspirer traîtreusement avec un espion iroquois, à détruire les wigwams de pauvres sauvages ignorants, et à trahir une noble dame comme Julie du Châtelet pour aller séduire une pauvre sauvagesse comme Isanta.

« Assez ! cria de Belmont exaspéré ; accusez-moi de mille autres crimes imaginaires, si vous voulez ; mais quand vous me dites coupable de trahison envers Mlle Julie du Châtelet et de projets malhonnêtes sur Isanta, vous m’accusez de crimes qui n’ont jamais existé que dans votre imagination corrompue et pervertie. C’est parce que Mlle du Châtelet a refusé vos hommages que vous cherchez à l’affliger en lançant contre moi les flèches empoisonnées de la calomnie.

— Je crois que le lieut. Vruze ferait mieux de ne pas introduire de questions étrangères dans l’acte d’accusation, dit le marquis de Denonville.

— S’il cherche à ternir le moindrement le nom de ma pupille, con-